J’ai l’immense chance de voir grandir un de mes petits-fils, d’observer son quotidien, son comportement, celui de ses parents, mes ressentis, nos ressentis. Je suis aux premières loges, observateur et acteur de l’éducation de ce petit. Sa maman a été formée, voire plus élevée dans un cadre d’éducation non violente, d’expression des émotions, de place des ressentis… Puis comme responsable éducatif dans un collège, elle a peaufiné sa formation en vivant le quotidien des adolescents et tout ceci avant de devenir jeune maman de 24 ans. Le papa se situe clairement dans cette mouvance alors que ce n’est ni son éducation, ni son métier (chef cuisinier). Il a cette prédisposition naturelle au cadre bienveillant.
Tristan a déjà trois mois et nous le voyons grandir au quotidien pendant les vacances que nous passons ensemble.
Comment s’exprime ce nourrisson ?
Je suis interpellé par la place de l’expression des émotions dans la première année de vie. Quels sont ses modes d’expression, les outils en sa possession, les possibles ? Tristan pleure, sourit depuis l’âge de deux mois environ, s’agite, fixe du regard ou fuit le regard, commence à émettre des sons, des gazouillis, sursaute, est apaisé, se câline, s’endort… Il n’a pas encore la parole. Qu’a-t-il comme outils à sa disposition ? Je souhaiterais étudier la fonction du pleur chez le nourrisson qui, il me semble, oriente l’expression de la personne durablement. Pourquoi faut-il toujours que bébé sourit ? Pourquoi l’adulte recherche quasi systématiquement à faire cesser les pleurs ?
T’es vilain quand tu pleures !
Chercher à tout prix à faire cesser les pleurs, c’est chercher à faire cesser un pan de la communication chez l’enfant, c’est le risque de lui inculquer qu’il ne doit pas exprimer une émotion ressentie, que toute émotion n’est pas bonne à exprimer. Chercher à faire cesser les pleurs de l’enfant en lui disant : « Tais-toi ! T’es vilain quand tu pleures, t’es pas beau, j’ t’aime plus… »
C’est mal d’exprimer certaines émotions. Et c’est ainsi que sans le vouloir, nous contribuons à l’émergence de générations entières d’enfants qui ne savent plus comment faire, comment dire, qui tapent, crient, se trompent d’émotions, sont renfermées, inhibées, mal dans leur peau…
Tristan n’a que peu d’outils à sa disposition pour exprimer ses ressentis, son monde intérieur. Il ne possède pas la parole. Il possède l’expression du visage : yeux, bouche, voix, sourire, pleurs, cris, larmes ; la posture générale du corps, la gestuelle des bras, la tonicité, les mouvements. Mais il ne possède pas la voix, cette outil fabuleux qui permet de raconter ses ressentis.
Et là se situe l’enjeu !
Etre des interprètes
Comment recueillir, comprendre, analyser, interpréter ce que nous montre le nourrisson ?
La maman puis le papa et l’entourage proche doivent être des interprètes du bébé. Lui demander ou tout faire pour qu’il arrête de pleurer sans tenter d’interpréter l’expression de pleur de l’enfant, c’est lui demander de se taire, de ne pas exprimer ses ressentis, de les garder en lui. Et nous ferons des générations de « taiseux », de rebelles ou autres comportements inadaptés devant un ressenti intérieur.
Marie-Restitude, sa maman, quand il pleure ou exprime une émotion, cherche avant tout à comprendre ce qu’il veut exprimer.
– « Que dirais-tu si tu avais la parole ? » pense-t-elle et elle agit alors pour tenter d’interpréter ses pleurs avec la parole et les gestes.
- « Qu’as-tu mon bébé ? Que veux-tu me dire ? Qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas ?
Et la maman va poser une série de questions à l’enfant pour tenter de deviner sa demande qui peut être de différents registres. Il peut exprimer qu’il a faim, froid, chaud, peur, qu’il est fatigué, triste, qu’il a envie des bras de sa maman, de son papa, d’un câlin, qu’il a mal au ventre, aux dents, qu’il est mouillé, que sa couche est mal mise…
Progressivement, sa maman va apprendre à analyser l’expression de ses pleurs qui est loin d’être uniforme. En fonction des différentes postures, réponses aux propositions en acte de la maman qui va tenter de le coucher, de lui donner le biberon ou le sein, le câliner, celle-ci va progressivement mieux lire, mieux comprendre ce qu’exprime son bébé et répondre de mieux en mieux à ses besoins. Je la vois faire et observer son bébé qui pleure. Avec de l’attention et l’habitude, on peut remarquer que tous les pleurs n’ont pas la même forme, qu’ils ne sont pas accompagnés des mêmes signes. Ce peut être une plainte, une remontrance, une manifestation, une demande… Et là, tout l’art des parents entre en jeu pour décoder.
Elle mettra en paroles ce qu’elle fait :
- « Peut-être que tu as faim mon bébé, je vais te préparer un biberon ! »
Ou – « Je vois que tu es fatigué, je vais aller te coucher pour que tu te reposes ! »
Ou – « Qu’est-ce que tu as mon bébé ? Je ne comprends pas. Peut-être que tu as mal au ventre, je vais te masser… Oh, j’ai oublié de te changer, viens, nous allons dans ta chambre et regarder ce qu’il se passe. »
Mais parfois, rien ne fonctionne :
- « Je ne comprends pas mon bébé, je ne trouve pas ce qui ne va pas. Je suis désolée. Alors, je te prends dans mes bras. »
Si les pleurs du bébé, la fatigue de la maman, l’incompréhension, l’agacement au vu de sa propre impuissance à répondre aux besoins de son nourrisson, que les relais proches : papa, grands-parents, famille n’y arrivent pas non plus, Maman va parler d’elle, de ses limites.
- « Je n’y arrive plus bébé, tu n’y es pour rien, c’est la situation qui est difficile pour moi, je ne peux plus, je suis fatiguée. Tu vois, je vais te poser là cinq minutes et je vais souffler. Puis je reviens mon petit cœur ! Ne t’inquiète pas, c’est maman qui a besoin de cela. Toi, tu es toujours le plus beau et gentil bébé du Monde… »
La maman s’écarte du bébé, reprend de l’énergie. Elle n’a pas crié, a parlé d’elle et non sur le bébé qui est coupable de rien puis elle revient vers son bébé. Souvent, j’ai pu observer que celui-ci est plus calme, qu’il se sent bien ou mieux, en tout cas, il n’a pas été culpabilisé parce qu’il pleurait.
Nommer et verbaliser ce que l’adulte fait, ressent
Marie-Restitude et Laurent, le papa, nomment beaucoup ce qu’ils font avec leur bébé, ce qu’ils comprennent, avec une attitude toujours douce, mais qui n’empêche pas un cadre d’autorité. Quand ils le changent, ils lui racontent ce qu’ils font, quand le bébé prend son bain, ils lui parlent avec douceur. Ils racontent également leurs émotions, leur fierté d’être parents de ce bébé. Quand il est temps de dormir, le bébé va dormir et à heures régulières. Son espace est protégé, son rythme est privilégié. Le bébé est respecté dans son univers géographique, sonore et environnemental.
Quand bébé est entendu dans ses pleurs, quand les parents reçoivent ces pleurs comme un mode d’expression et non comme un caprice ou la volonté de nuire, d’obtenir quelque chose à tout prix. Quand les parents ne cherchent pas à faire taire le nourrisson avec des phrases du type : « Arrête de pleurer ! T’es vilain quand tu pleures, t’es pas beau… ou quand les parents singent l’enfant en l’imitant dans ses pleurs, quand, quand, quand…
Alors bébé arrête de souvent de pleurer. Il a été entendu ! Il n’a pas besoin de redoubler de cris et larmes pour se faire comprendre. Il aura de grandes chances de ne pas développer des attitudes qu’on appelle « caprices » pour obtenir quelque chose. Il pourra mettre plus facilement, quand sa maturité lui permettra, des mots sur ses ressentis, maladroits au début, imprécis éventuellement, mais il aura des clés pour se faire comprendre. Ses parents lui auront montré la voie à suivre très tôt dans son éducation. Ce qui est très intéressant, c’est l’environnement familial et amical qui suivra le même chemin. Les parents montrent le chemin à emprunter pour une communication bienveillante.
Plus vous allez interdire au bébé de pleurer, plus il s’exprimera de manière forte, plus il augmentera la forme de communication afin qu’on le comprenne ou l’entende.
Au plus juste des émotions de l’enfant
En conférence, j’ai été interpellé par une maman qui avait un bébé dans les bras : « A quel moment doit-on commencer cette forme d’éducation ? Ma réponse fut :
« - Dès la conception, madame, dès la conception. Il n’y a pas d’âge pour débuter. Plus c’est tôt dans la vie de l’enfant, mieux c’est ! Plus vous lui apprenez à écouter ses émotions, plus vous apprenez à décoder les signes physiologiques qu’il met à votre disposition, mieux il grandira en confiance et authenticité. Parlez à votre bébé dans votre ventre. »
Beaucoup de personnes voient le bébé de Marie-Restitude et Laurent et sont surpris de son calme. Et moi, je suis surpris du calme des parents, de leur belle énergie à toujours rechercher, traduire, interpréter les expressions de leur enfant. Ce n’est pas un hasard si ce bébé est plutôt calme. Ce qui ne l’empêche pas de pleurer, s’agiter, ne pas se faire comprendre.
Ce qui ne veut surtout pas dire qu’ils accèdent à tous les désirs de l’enfant. J’ai entendu le papa dire d’un ton ferme et doux : « Ecoute bébé, là, c’est moi qui décide et c’est comme cela ! » Comment être ferme et doux ? Il n’y a pas de réponse universelle, cela dépend de chaque individu et des mots, de l’attitude, de la puissance vocale, de la situation. Contenir et aimer, ne jamais culpabiliser l’enfant intentionnellement, parler de soi et non sur l’autre (le bébé), des moyens pour qu’il grandisse en meilleure harmonie.
Nous éviterons également ce qu’on appelle en Analyse Transactionnelle, les trocs d’émotions ; c’est à dire prendre ou utiliser une émotion pour une autre : ressentir de la tristesse alors que c’est de la colère, la tristesse alors qu’il s’agirait de peur… Etre au plus juste avec ses émotions.
Les chaudoudoux
N’oublions jamais, mais là, c’est plus usuel de nourrir cet enfant de chaudoudoux, de signes de reconnaissance positifs. N’hésitons pas à lui dire qu’on l’aime, que c’est le plus beau bébé de la terre, qu’il est gentil, qu’on est fier de lui ; il n’y en a jamais trop …
L’éducation bienveillante dès la naissance prend forme sous mes yeux de grand-père en observant ces jeunes parents, ce petit nourrisson, leur vie, leur mode de communication, leur complémentarité. Tout devient joie et amour, mais quelle énergie pour élever cet enfant ! Il fait bon être jeune !
Des livres pour vous aider
Moi, je suis fan d’Isabelle Filliozat. Je vous conseille donc :
- Au cœur des émotions de l’enfant
- L’intelligence du cœur
Et bien sûr : Le conte chaud et doux des chaudoudoux de Claude Steiner
Jean-François Laurent