Si tu savais…
Si tu savais comme depuis tout petit je trouve la vie compliquée. Ça a commencé dès mon plus jeune âge. Tout rentrait fort en moi, trop fort. Quand maman me grondait, j’avais peur qu’elle ne m’aime plus, alors je cherchais à être parfait, mais je n’y arrivais pas. J’étais juste trop petit et je me sentais coupable, je me trouvais vilain. Quand, en plus, je me trouvais sur le « banc des vilains » à l’école maternelle parce que je parlais trop ou n’arrivais pas à contrôler un temps soit peu l’expression de mes émotions, je me disais que la maîtresse avait raison et que maman ne pourrait jamais m’aimer.
Si tu savais ce qui se passait dans ma tête et dans mon cœur… J’avais trois ans et je sentais bien que papa et maman ne s’entendaient plus. Je les entendais, je le percevais à d’infinis signaux : un regard trop appuyé, la voix un demi-ton au dessus que la normale, un pas plus rapide. Pourtant, ils ne me disaient rien, mais je le sentais. C’était pire parce que je croyais que c’était de ma faute. Je me sentais responsable. Aussi, je n’arrivais plus à m’endormir, je tapais contre les cloisons de ma chambre avec ma tête et ils me grondaient. Je ne comprenais pas, je ne comprenais plus pourquoi. Je perdais confiance en moi avec ces attitudes que moi-même je subissais. Je sentais comme un monstre qui poussait en moi au cours de ces tempêtes émotionnelles nombreuses qui me déroutaient et que mes parents ne pouvaient pas comprendre.
Si tu savais le calvaire de la fête de l’école, j’avais quatre ans. J’étais heureux d’aller danser sur scène, je me réjouissais. J’avais appris facilement la chanson et je devais danser avec mon copain Antoine, mais on s’est disputé juste avant. Alors que je devais monter sur scène, ce fut impossible pour moi d’enfiler le costume prévu. Je restai figé devant l’ensemble des gens du village. Et même si ma famille a été géniale et m’a encouragé, j’eus honte de moi. Pourquoi je n’arrivais à faire comme tout le monde alors que je suis, paraît-il, plus intelligent que la moyenne. J’en doute vraiment.
Si tu savais comment j’ai vécu le fameux « complexe d’Œdipe »… Un ou deux ans plus tard je ne m’en souviens plus exactement, alors que je voulais me marier avec maman et qu’elle m’expliqua que ce n’était pas possible, je ne compris pas. Ce fut une déchirure atroce à vivre, une blessure profonde dans mon petit cœur d’enfant. J’ai pu négocier que ma maison serait à côté de la sienne et qu’une porte nous relierait. Cela m’empêcha de dormir longtemps. Je perdais confiance en moi.
Et il y avait ces étiquettes sur mes vêtements ou plutôt sous mes vêtements qui me rendaient fou, qui m’irritaient au plus haut point. Des voisines bien attentionnées expliquaient à ma maman et mon papa que c’était un caprice et qu’ils devaient s’imposer. Heureusement, maman qui avait vécu la même chose petite ne se laissa pas influencer. Elle se fâcha avec sa copine. Je savais que c’était à cause de moi. Je me sentis mal avec ça.
Si tu savais comme à l’école, je m’ennuyais. Bien sûr que je n’étais pas le seul à m’ennuyer, mais j’avais l’impression que cela prenait une ampleur plus grande chez moi. Je me faisais souvent punir parce que je faisais le clown. Etais-je un clown ? Je voyais que d’autres enfants n’arrivaient pas à apprendre. Cela me touchait. Je trouvais cela injuste. Alors, j’arrêtais d’apprendre. J’ai fait comme eux, nous étions alors amis.
Si tu savais toutes les questions que je me posais, des questions récurrentes qui reviennent sans cesse, chaque soir, même au cours de la journée, sur le sens de la vie, de la mort, sur l’amour, le pourquoi des éléments… Et je n’avais pas toutes les réponses, cela m’angoissait et je devins agressif ou renfermé, cela dépendait des jours. Je ne comprenais pas pourquoi.
Si tu savais mon adolescence… Pour beaucoup, c’est une tempête, pour moi, ce fut une suite d’ouragans. Le moindre flirt qui se finissait en rupture, d’ailleurs, je n’ai jamais vécu de flirts légers, c’était à chaque fois les plus intenses histoires d’amour que la Terre ait portées. Quand elles se terminaient, le Monde s’effondrait. Oui, comme pour tout ado, mais en plus dense, en plus puissant encore. Je tentais de me remettre, mais à chaque fois, je laissais un peu de confiance en moi sur le bord du chemin de la Vie. Puis quand enfin, à 16 ans, une fille s’intéressa encore plus à moi, je fus touché, je tombais follement amoureux, me mariais avec toute ma naïveté sans mesurer sa nocivité pour moi. Je le compris bien plus tard. J’avais une telle soif d’aimer et d’être aimé, j’avais si peu confiance en moi que je me jetais corps et âme dans cette liaison mortelle (ou presque). Je restai enfermé longtemps avant de pouvoir m’en sortir. Ce fut grâce à ma confiance travaillée et gagnée petit à petit que je sauvais ma peau.
Si tu savais comment je vis avec ce cerveau qui ne prend jamais de vacances et de fait qui m’angoisse, avec ces écarts de maturité entre ce qui est du registre cognitif et l’émotionnel qui rase tout. Ces idées qui fusent sans arrêt saturent mon disque dur.
Et pourtant, je ne suis pas dyslexique, « dyscalculique », dysorthographique, dysphasique, dyspraxique. Je ne suis pas TDA avec ou sans le H, je n’ai à priori pas d’autres troubles. Je n’ai pas non plus eu une crise d’appendicite à chaque rentrée des classes. Je suis simplement troublé par ma précocité, mon haut potentiel. Si tes statistiques, tes enquêtes scientifiques, tes cohortes, montrent le contraire, je t’invite à venir me rencontrer. Je ne suis pas « pathos » non plus, j’ai juste des caractéristiques qui font que pour moi qui suis à profil complexe et hétérogène, la vie a des couleurs plus vives et mordantes, trop éclatantes peut-être et nécessite un traitement particulier, un soin particulier, des lunettes bien réglées. Et nous sommes nombreux dans ce cas, très nombreux, peu importe la proportion.
Si tu savais… J’ai fait un long chemin pour découvrir ou redécouvrir les belles richesses enfouies en moi, les mettre au service des autres, les offrir, les partager. Et je m’en réjouis. J’ai recherché mes ressources, ma capacité à la résilience qui est grande. J’ai découvert d’autres chemins, d’autres personnes.
Entre être à l’écoute, apporter grand soin, écouter, accompagner, décoder… et « pathologiser », il y a un Monde. Juste gagner confiance en toi.
Alors, si tu savais…
