Le lien Apprentissage et confiance en soi
On ne parle jamais aussi bien d’un sujet que lorsqu’on l’a expérimenté soi-même. Sans aller jusqu’à affirmer que le chirurgien soignera mieux un opéré s’il a été opéré lui-même… mais peut-être qu’il aura une attitude quelque peu différente en pouvant mieux se placer en empathie avec son patient.
Je viens moi-même de vivre une situation très significative sur ce lien si étroit entre la confiance en soi et l’apprentissage :
J’ai vécu 25 ans avec une compagne qui me dévalorisait sur de nombreux points. Notamment sur un point précis : le bricolage. De manière très factuelle, je ne savais pas planter un clou sans le tordre, traverser la planche à clouer, planter le clou 2 cm à côté de l’emplacement prévu ou mieux me broyer le doigt de la main gauche qui tenait ledit objet. Mieux ! Puisque mon père me disait toujours : « Pour ne pas se taper un doigt, tiens ton marteau à deux mains » Même comme cela, j’arrivais à me faire mal. Je ne vous parle pas de tapisserie, peinture ou autre, rien n’allait… Bref, le bide total. Mon épouse de cette époque se moquait volontiers de moi, me traitait de bon à rien ou faisait à ma place. Je l’admirais pour cela et me désengageait totalement de cette compétence. Très rapidement, je ne touchai plus un outil et riai de moi lorsqu’on abordait le sujet du bricolage en famille ou en société plus large. Ma réputation était faite, j’y répondais à la perfection et jouais ce rôle d’handicapé de l’adresse manuelle. Il ne fallait surtout pas me parler de bricolage à la maison et je riais de moi-même (certainement pour devancer les moqueries d’autrui qui faisaient moins mal). Je pense que cela venait activer une ancienne blessure avec mon père très doué en bricolage qui ne m’a jamais encouragé, et m’a même dénigré quand j’étais jeune. Tout était en place pour ne pas acquérir cette compétence de bricoleur.
Changement de vie, changement de compagne et donc d’environnement. Je venais avec mes idées sur moi-même avec cette réplique : « Tu sais ma chérie, pourvu que le lave-vaisselle ne tombe pas en panne, si tel était le cas je te prendrai dans mes bras et je te dirai : viens dans mes bras qu’on se console ensemble ». Ma compagne y croyait puisque je lui avais affirmé être un handicapé du bricolage. Peu de temps après, elle décide de refaire la chambre de sa fille (tapisserie et peinture). Elle démarre le travail et comme d’habitude dans ma vie, je fais autre chose et vient l’encourager régulièrement , mais je ne touche à aucun outil et agis comme j’ai agi depuis longtemps. J’apporte du thé, des petits gateaux… mais je ne trouve pas leur travail correct même si je ne dis rien. J’avais déjà vu des « experts » tapisser une pièce. Je savais comment faire, mais je n’osais pas faire, de manière à répondre au plus juste à mon identité propre.
Cela n’allait pas, la tapisserie plissait, les lés se chevauchaient ou pas. Bref, malgré toute la bonne volonté du monde, cela ne convenait pas.
Je décide (je ne sais pas pourquoi) à me mettre à la tache, et très rapidement la pièce prend forme sous les yeux admiratifs de ma compagne qui se met à m’aider. Je deviens chef de chantier. Ma compagne me félicite, sa fille également. Je suis fier de moi.
Trois mois passent et de petit bricolage en petit bricolage, même en mettant beaucoup plus de temps qu’une personne habituée, je prends progressivement confiance. J’ose réparer une chasse d’eau, changer un robinet, une prise électrique, une vitre cassée… et je me révèle, que ce soit à moi-même ou vis à vis de mes proches doué pour le bricolage. J’utilise une perceuse pour la première fois. Je demande à d’autres de m’xpliquer, j’apprends et m’entraîne, m’améliore et aime de plus en plus bricoler, moi qui m’étais identifié comme un handicapé et en riais… pour ne pas en pleurer.
Six mois passent et je sais maintenant installer des appliques, des radiateurs, repeindre un studio complet pour un résultat très correct.
Même si cela paraît facile pour d’autres, pour moi, ce sont des victoires à chaque fois. Je grimpe mon escalier de bricoleur marche après marche, toujours dans la réussite. Ma compagne toujours
m’encourage, me renvoie une belle image de moi, le dit à d’autres. Je suis fier de ce que je fais, j’ai envie de recommencer, de continuer, d’apprendre. Dès que j’ai réalisé un bricolage, je vais
chercher ma compagne dans les yeux de laquelle je vois briller cette fierté d’être avec moi, cette fierté de ce que j’ai fait. Elle me félicite, le dit, le vit et je me sens bien. Les chaudoudoux
sont présents. J’existe dans ses yeux, dans son cœur, donc dans le mien.
Dans un mois, je dois refaire une salle de bains et suis pressé d’apprendre. J'ai envie de savoir si je sais faire et je crois en mes
possibilités.Je vais regarder sur internet et j’ai demandé à un ami qui refait sa salle de bains de m’inviter à l’aider pour acquérir de nouveaux savoir-faire. je suis pressé de me confronté à
cette nouvelle tache complexe.
Qu’est-ce qui a changé pour devenir un autre homme sur ce sujet ? Je me surprends moi-même. Je ne me reconnais plus. Je fais des liens avec ma classe, avec mes petits dont certains sont en difficultés d’apprentissage. Je les encourageais déjà beaucoup, mais j’ai touché du doigt l’importance des encouragements sur l’apprentissage. Comment aider un enfant à apprendre, à oser s’engager dans les apprentissages si ce n’est l’encourager à la moindre réussite. La responsabilité de l’enseignant est engagée sur au moins trois domaines :
- D’abord proposer de situations dans la zone proximale de développement des apprenants. Juste ce qu’il ne sait pas encore faire, mais qu’il est capable de réussir. Cet espace entre les deux situations, c’est l’apprentissage des connaissances. Imaginons un enfant en cours d’apprentissage en orthographe à qui on propose une dictée trop difficile dans laquelle il se noie, où il n’arrive pas. Il se retrouve avec « du rouge » de partout, un constat de non réussite, un 0/10, des parents ou enseignants qui le dénigrent… D’où l’importance pour l’enseignant de proposer une difficulté accessible avec des réussites.
- Donner des idées pour trouver, travailler sur des conseils pour apprendre. La responsabilité de l’enseignant est de mettre en place les conditions de l’apprentissage, la méthodologie. Comme je vais chercher de l’information chez des tiers, sur des notices, chez des amis qui me conseillent, me font voir, m’expliquent, me monterent les gestes à faire, l’enseignant guide l’élève, l’aide à trouver comment apprendre et réussir. La réussite se voit, elle est palpable. L’enfant la mesure. Il en a conscience.
- Le troisième point, et c’est celui sur lequel j’insiste, ce sont les signes de reconnaissance positifs, les encouragements inconditionnels, la reconnaissance de la réussite sans lesquels aucun apprentissage ne pourra s’installer, se construire. Or, l’école ne favorise pas cette attitude indispensable à l’apprentissage. Souvent, on place les enfants en compétition au lieu de favoriser la coopération. On les note, les classe. Seuls les meilleurs sont favorisés et se sentent bien. En réalité, tout est fait pour accentuer l’écart entre ceux qui ne savent pas faire et ceux qui réussissent.
Sans encouragements, pas de réussites, pas de progrès. Ce qui se joue ici, c’est la confiance en soi et l’Ecole doit tout faire pour développer cette confiance. Sans une belle image de lui-même, l’enfant ne progressera pas ou difficilement. Et cette belle image : « croire soi-même en son propre potentiel et exister dans les yeux de ceux qui comptent pour soi ! » Dans le regard de l’enseignant, chaque enfant doit voir briller de la fierté, la croyance en la réussite… et lui dire, que ses parents lui disent, que tout le monde autour de l’enfant, même en grande difficulté, surtout s’il est en grande difficulté, l’encourage sans cesse. On n’apprend que dans le positif, dans la reconnaissance, dans le regard de ceux qui comptent.
L’apprentissage du bricolage a mis en lumière de manière encore plus forte pour moi, enseignant, l’importance majeure de l’encouragement pour « l’appreneur ou l’apprenti ». J’avais déjà décidé de ne jamais plu mettre une note à un enfant, de travailler énormément sur la confiance en soi. Je savais que c’était important, mais à ce point, je ne pensais pas.
… Sans confiance, pas d’apprentissage…
Bien amicalement à tous
Jean-François LAURENT