Chaque jour apporte son lot d’agressions spectaculaires contre des professeurs. Ici, un professeur roué de coups, là, un surveillant poignardé, encore ailleurs, une bagarre entre élèves où s’interposent des adultes qui reçoivent leur moisson de coups, encore un parent, voire un grand parent qui vient frapper un principal de collège. « Derrière le plus violent se cache souvent le plus souffrant » Petitclerc J-M., Et si on parlait de violence, Presses de la renaissance, 2002.
Le « tonneau » fuit de partout ! La politique de la contenance si bien décrite par Philippe Meirieu ne peut colmater toutes les brèches. Même dans des endroits réputés comme étant sans problème, des actes de violence caractérisés ont lieu. Personne n’est à l’abri, aucun lieu n’arrive à être sanctuarisé selon la volonté politique du pouvoir actuel en place. Le gouvernement surfe sur la vague répression.
Placer des détecteurs de métaux à l’entrée des établissements scolaires ne changera strictement rien. Mettre des policiers ou gendarmes en faction devant ces établissements permet un calme relatif tant que les policiers sont présents. Mais ils ne peuvent pas être de partout à la fois. Menacer les agresseurs, les sanctionner de manière toujours plus dure ne porte pas d’effets positifs.
Une pensée répandue mais par trop dichotomique ne propose que deux voies : La répression et toujours plus de mesures disciplinaires qu’on opposerait au laxisme ambiant qui a abouti à ce climat délétère. Je comparerai ce problème au débat qui agite la société française sur la fessée. Faut-il ou non supprimer la fessée ?
Quand vous discutez avec des parents, ils mettent en avant que s’il n’y avait plus la menace de la fessée, les enfants font alors ce qu’ils veulent. Dans ma classe, sur 20 enfants, 14 prennent des fessées régulièrement et tous ceux qui subissent ces châtiments corporels trouvent cela normal. Comme s’il n’y avait pas d’autres solutions…. Comme à l’école où, s’il n’y a pas de punitions, d’exclusions, il n’y a pas de résultats.
« Le haineux qui punit l’autre dans l’espoir de se faire respecter à l’avenir est bien naïf. C’est comme s’il croyait qu’il suffit de casser la branche qui vient de l’assommer pour être définitivement protégé des bosses. » Petitcollin C., Emotions, mode d’emploi, Jouvence, 2003
Alors, que proposer ?
Entre laxisme et répression, ces deux voies menant à une impasse éducative, vous pouvez travailler sur cette troisième voie e la médiation, de l’apprentissage des relations, de la confiance en soi… Oui, mais comment ?
Le concept d’éducation restaurative : Apprendre à vivre ensemble
Apprendre à reconnaître ses émotions
Il s’agit dès le plus jeune âge de privilégier des temps d’écoute de l’enfant, de ses ressentis, être au plus près de ses besoins. Le jeune apprend à dire et ne pas garder en lui des incompréhensions, des frustrations, des blessures. Il apprend à reconnaître ses émotions et les exprimer de manière recevable par autrui. Il découvre le vocabulaire des émotions. Il distingue émotions et sentiments. Il apprend ainsi à mieux se connaître, à mieux s’aimer. Chaque évènement devra contribuer à l’aider à grandir hors des humiliations, loin de la peur. Il gagne progressivement confiance en lui ou plutôt il n’écorne pas son capital confiance. L’éducation restaurative favorise chez chacun un ego développé, fort, juste.
L’éducation restaurative favorise un mode participatif de tous les acteurs du système à l’élaboration des règles qui régissent le groupe : enseignants, chef d’établissement, éducateurs, enfants, parents, personnel administratif, de service...
Une transgression de règles est un espace d’apprentissage
Dans le cadre de l’éducation restaurative, une transgression de règles est une occasion d’appendre à vivre ensemble et respecter ces règles qui protègent la vie de l’individu et du groupe. Pour qu’un enfant intègre une règle, il la tutoie, franchit la ligne interdite. Ce ne sera jamais une occasion de punir pour que l’enfant obéisse par peur. Il n’y a pas d’âge pour commencer cette forme d’éducation, c’est dès le début de la vie : Tenir les règles, mais avec bienveillance. Dans le cadre de l’école, nous avons à faire aussi à des apprenants relationnels qui ont donc le droit à l’erreur. « La médiation constitue une alternative au modèle disciplinaire qui repose sur la stigmatisation et l’exclusion de l’élève par le prononcé d’une sanction » Bonafé-Schmitt J-P, Vous avez dit médiation ?, n° 35, Les cahiers de l’ISP, p 73
Privilégier dès le plus jeune âge le sens de la règle
L’éducation restaurative s’appuie sur le levier de l’intelligence et non sur le levier de la peur ou de la menace qui très tôt est inculquée à nos enfants. Les enfants respectent une règle parce qu’elle les protège, leur est utile et non parce que « c’est comme cela » ou « qu’il ne faut pas »
« - Attention, tu vas voir, le loup va venir !
- Attention, tu vas voir ton père ce qu’il va dire !
- Au prochain avertissement, tu iras chez le directeur»
La compréhension du sens de la règle est mise systématiquement en avant.
Favoriser la sanction réparatrice plutôt que la punition « vengeresse »
L’éducation restaurative favorise la sanction réparatrice et exclut totalement le système punitif, répressif. Les objectifs de la sanction réparatrice sont :
- Favoriser la responsabilité de chacun des protagonistes dans un conflit ou une transgression de règles.
- Préparer l’avenir avec d’autres alternatives.
- Permettre à chacun de mieux se connaître avec nos limites et nos forces.
- Permettre à la personne de comprendre la règle transgressée.
- Permettre à chacun des protagonistes de sortir grandi suite à la transgression ou le conflit en ayant réparé, en s’étant réparé, en ayant appris sur lui, sur la situation, sur l’autre.
Développer la confiance en soi
L’éducation restaurative met en avant les signes de reconnaissance positifs. Il s’agit de tout faire pour que l’enfant ait une belle image de lui. L’enfant apprend lui-même à communiquer et exprimer des signes de reconnaissance positifs à autrui. Il sait complimenter de manière sincère. Il sait recevoir les compliments et les apprécier.
Privilégier un mode participatif par la médiation
L’éducation restaurative met en place des structures d’apprentissage à la gestion des conflits. Les enfants apprennent des techniques de médiation par les pairs, d’écoute active, des techniques de résolution pacifique des conflits. Tous les adultes apprennent également les mêmes techniques et postures de médiation.
L’éducation restaurative s’appuie sur une pédagogie participative qui privilégie la confrontation à des situations problème, à des activités qui ont du sens, qui placent l’enfant en projet d’apprendre. Elle privilégie des temps de confrontation entre pairs, de métacognition. Elle s’appuie sur une évaluation formative qui construit le jeune. Elle met en avant ses réussites plutôt que les écarts à la norme attendue.
Apprendre la relation
L’éducation restaurative favorise des relations horizontales et non un autoritarisme hiérarchisé imposé d’en haut. Nul besoin de cris, de coups pour imposer ses
idées. Il s’agit pour les adultes de témoigner par leur vécu en responsabilité qui pourra ainsi se transférer aux enfants. Les adultes servent d’exemple pour les enfants. Le mimétisme est une
source d’apprentissage. La cohérence d’ensemble du système est favorisée.
Vivre ensemble, écouter l’autre, s’écouter, c'est-à-dire reconnaître ses propres émotions, comprendre le conflit, savoir le gérer de manière respectueuse de soi et de l’autre, comprendre les règles, savoir réparer, pouvoir réparer… tout cela s’apprend. Les enfants doivent apprendre, mais également les parents et les enseignants.
Quand, quand, quand…
Quand notre école aura terminé de vouloir développer le culte du meilleur, une culture de la compétition au détriment d’une culture coopérative qui respecte, protège, fait grandir…
Quand nos éducateurs : professeurs, surveillants, parents, sauront gérer des transgressions de règles chez les jeunes dont ils ont la charge sans les vexer, leur faire peur, les punir, les humilier…
Quand les éducateurs apprendront aux jeunes à gérer leurs conflits de manière respectueuse, entre eux, dans des logiques qui rejettent la délation, la réclamation, en posture de médiation…
Quand nos établissements favoriseront la mise en place de règlements co élaborés, qui excluent totalement la punition pour favoriser la sanction réparatrice, des
règles qui ont du sens, qui permettent à chacun de grandir en humanité…
Quand, quand, quand… J’espère bientôt parce que le tonneau fuit de toute part et je crains, à force de vouloir contenir sans prendre les justes mesures de restauration, que le tonneau se désagrège… Et à ce moment là, il sera beaucoup plus difficile de réparer, reconstruire, recréer sans beaucoup de pertes. Evitons la révolution qui détruit pour une autre culture, celle de la médiation, de la compréhension des règles, de l’apprentissage de la gestion des conflits, des émotions dans une logique coopérative gagnant/gagnant.
Et c’est possible, nous l’expérimentons à petite échelle, dans une école, un collège, une classe. A quand la mise en place d’une éducation restaurative au niveau macro-sociétal ? Vite, le temps presse…
Jean-François LAURENT