Nouvelle confrontation à la difficulté, nouvel intérêt, nouveau challenge : l'enfant en crise avec l'institution école.
Pourquoi je développe ce cas ? parce que je suis souvent interpellé en conférence ou par mail sur le sujet de l'enfant qui ne veut plus remettre les pieds dans un établissement scolaire; trop blessé, angoissé, envahi par des émotions qu'il ne peut gérer et qui l'oblige à se replier sur la sphère familiale le plus souvent afin de poursuivre sa scolarité à domicile.
- En premier lieu, prendre des décisions en équipe pluridisciplinaire, que ce soit pour un enseignant ou pour les parents. Ne nous isolons pas. Ne traitons pas de la problématique d'un enfant en binome. Avec un binome, nous courrons le risque du binaire, de l'opposition de deux camps... Je suis partisan d'une intelligence collective. Un des membres peut être en crise, ne plus en pouvoir, ne plus voir de solutions, de gestion au quotidien, que ce soient les parents, l'enseignant de l'enfant, le psy ou autre "professionnel". Le choix du suivi de la scolarité de l'enfant ne peut pas être pris sur un élan émotionnel...
Quand, en classe, vous avez un enfant qui bouscule les limites de l'Ecole (coups, insultes, cris, crises d'angoisse, pleurs, isolement...), qui bouscule vos propres limites, votre compréhension de la situation, le premier acte à poser est la création d'une équipe pluridisciplinaire autour de l'enfant et sa famille. Nous devons croiser nos idées, nos hypothèses, notre aide à l'enfant. Bien sûr, il y aura toujours les personnes en première ligne et devant la première ligne, n'oublions pas que se trouvent des parents ou parfois seulement l'un des deux parents. Et c'est difficile, usant, écrasant. L'enseignant (et je parle pour moi) ne doit jamais oublier qu'il n'a l'enfant que 6 heures, même si c'est difficile, il ne l'a que 6 heures... reste 18 h pour aller jusqu'à 24 7 jours sur 7, et là, ce sont les parents qui en ont la charge. Une maman me témoignait qu'à chaque fois qu'elle arrivait à l'école pour rechercher son enfant, elle avait la boule au ventre. Qu'allait-on lui dire ? Que s'était-il passé ? L'enseignant doit être d'une grande vigilence dans ce qu'il témoigne, d'où l'importance de personnes ressources qui ne sont pas en première ligne : collègue, psychomotricien, rééducateur...Pour se ressourcer, les personnes en première ligne doivent se replier sur des deuxième, voire des troisième ligne et non entre lutteurs du quotidien.
Si l'enfant doit être descolarisé, cela doit être une option parmi d'autres et non un choix par défaut. La décision n'est en plus jamais
définitive. Une maman lors d'une conférence m'expliquait qu'elle avait trois de ses enfants en scolarisation à domicile et qu'elle avit pu tisser de magnifiques liens avec eux. Son ainé
souhaitait retourner au collège. il se sentait plus fort, plus sûr de lui. Il venait de passer trois ans sans structure collective d'enseignement et i, émettait le souhait de retourner au
collège.
Quand, en classe, un enseignant est confronté à ces situations de crises quotidiennes, il doit réguler son groupe classe. Non, il n'est pas tout seul à vivre la situation. Ses autres élèves voient les chaises qui volent, entendent, les cris, ce déchirement qui vient du ventre, perçoivent la tension interne et externe. Ils ne comprennent pas toujours : "Pourquoi dit-il cela ? mais il ne voit pas ? Si vous avez des enfants APIE dans la classe, ils perçoivent encore mieux les enjeux, les émotions. Quand l'enfant en difficulté n'est pas présent, il est bon de leur parler, de leur expliquer, leur faire exprimer leurs ressentis, leur perception de la situation, leurs idées. (Je sais, je pousse le bouchon loin). Ils pourront être aidants pour l'enfant en crise, compatissant, et surtout ils comprendront mieux les enjeux.
Pour illustrer ce propos, j'ai vécu une situation très surprenante. Je vous la décris :
Mon "p'tiot" rentre en crise et m'envoie : "Dégage, je ne veux plus te voir avec ton école de chiot..., t'es co.."
Je regarde l'enfant devant moi et il me voit hésiter, le regard interrogatif. il me dit alors : - Tu ne trouves pas qu'il a progressé, tu vois, il dit moins d'insultes et elles ne sont pas terribles. on sait en plus que ce n'est pas vrai et que même lui il ne les pense pas."
Je lui réponds : - "Tu crois que je dois laisser tomber ?"
- Je crois bien que oui !
- Je suis d'accord avec toi, je lache l'affaire, mais c'est bien parce que tu m'as dit qu'il progresse et qu'il va vite se calmer... autrement non."
Bref, discussion géniale qui a permis à l'enfant de redescendre et à l'enseignant de travailler sur une mise à distance de la situation. L'autre enfant a joué le rôle du tiers et a permis de sortir de la situation sans dommages. Et effectivement, cet enfant, quand on porte un regard pointu sur lui, il a progressé :
- Il peut jouer sur la cour de récréation avec ses camarades alors qu'il ne pouvait pas au début,
- Il commence à rester l'après-midi à l'école.
- Il revient plus vite quand il est en crise.
- Il revient à l'école chaque jour avec le sourire.
- Il accepte certaines contraintes de la classe.
Alors, soyons patients, inscrivons nous dans la durée sans fléchir au moindre obstacle, à l'échec d'une situation, une régression passagère. Comme disait à juste
titre ma collègue directrice, cela ne fait que 16 jours de classe depuis le début de l'année !
Le chemin est encore long. Actuellement, cet enfant qui était descolarisé l'année dernière visite l'école. il a passé du temps avec la secrétaire à travailler avec elle et l'aider. il a suivi un groupe de jeunes enfants avec la rééducatrice. Je pense qu'il va suivre la directrice quand elle sera en décharge pendant une petite heure et qu'il ira en cuisine avec les collègues qui font le service...
Que nous réserve l'avenir ? Moi, j'y crois ! Et je vous écris pour m'aider à la prise de distance.
Merci
Jean-François LAURENT