Vous n'êtes pas sans connaître mes deux champs d'expertise que sont d ’un côté ce qui touche à l'autorité, le conflit, la trans gression de règles et de l’autre les enfants "précoces" que j'appelle APIE. Une nouvelle fois, je me retrouve au carrefour de ces deux problématiques avec la rencontre d’un
adolescent en dérive.
L’histoire
Je rencontre il y a peu un jeune de 14 ans accompagné de sa maman, scolarisé en classe de quatrième dans un collège huppé, renvoyé de son établissement pour usage de cannabis à l'intérieur de l'enceinte. Il s’est fait dénoncer et a avoué la vérité au cadre éducatif qui l’interrogeait. Il n'a pas dénoncé ses camarades de fumerie, ni le fournisseur de drogue. Ses parents sont convoqués par le chef d’établissement qui notifie un renvoi immédiat de 8 jours avant de passer officiellement en conseil de discipline.
Prendre sa part de responsabilité dans la transgression d’une règle.
Le jeune APIE a souvent, encore plus que les autres un problème sur la part de responsabilité. Etant généralement dichotomique, soit c’est de sa responsabilité qu’il n’y ait pas d’eau dans le désert, soit il n’y est pour rien, mais vraiment pour rien. Ce n’est pas lui… Il ne fume jamais de cigarettes et un joint, c’est exceptionnel…
Le jeune précoce a rarement le juste milieu, la juste place, ce qui provoque des problèmes de relations aux autres et au monde. Ici, en l’occurrence, on lui avait donné le cannabis… Il s’était laissé influencer par d’autres… Ce qui implique que si c’est la faute des autres, lui n’y est pour rien et que cela peut se reproduire en fonction du milieu environnant. Or, c’est un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur et seul le jeune peut, ou non, décider de stopper ce type de transgression.
Le premier travail est de lui faire prendre conscience que l’entourage n’est pas dupe. Quand vous êtes maman ou papa, c’est difficile. Soit vous le croyez, soit vous le rejetez. Nous étions dans ce cas de figure. Il peut amorcer un travail de responsabilité sur ses actes à la juste mesure. « Je suis responsable de mes actes ! » Après quelques échanges où il essaya de faire de moi son allié contre sa famille, son établissement, nous reprîmes un échange plus serein et juste sur les vraies questions :
- Que veut dire ce geste ?
- Comment réparer ?
- Comment sortir de cette épreuve tout en l’assumant et sans écorcher encore une image de soi abimée ?
- Où trouver un autre collège sans revivre le même scénario ?
- Comment regagner la confiance des adultes autour du jeune ?
En colère !
Pour moi, il est évident que le collège devait réagir et sanctionner fortement cette transgression de règle. Quand je vois ce jeune, propre sur lui, que veut-il nous dire de lui avec ce message de transgression ? Qui va l'entendre, l'aider à décoder son mal être qui s'exprime si maladroitement ou plutôt si "codé"? Ce ne sera pas l'institution scolaire qui l'accueillait alors qu'elle est spécialiste de l'enfance. Comme elle ne comprend pas, elle rejette et coupe, tranche.
- Une nouvelle fois, je suis en colère qu'on ne puisse pas travailler sur une sanction réparatrice.
- Je suis en colère qu’il n’y ait pas de formation à la gestion réparatrice d’une transgression de règles.
- Je suis choqué qu’il n’y ait aucun professeur qui ait le courage de poser cette simple question : Comment réagir sans exclure définitivement ? Cette famille doit se débrouiller seule pour retrouver un établissement. Pourquoi est-elle doublement pénalisée alors que la cellule familiale est mise à mal par l’acte transgressif de leur enfant ?
Comment ce jeune va-t-il se construire alors que le système le rejette ? Il doit passeren conseil de discipline la semaine prochaine, mais le principal l'a prévenu qu'il ne sera pas repris en cours. Aucune proposition ne lui est faite si ce n'est le rejet et le "débrouille-toi !" avec sa famille.
Plus j'avance dans mes recherches et dans mon expérience avec ces jeunes et plus je me rends compte que, encore plus que d'autres, ces jeunes ont besoin de cadre. Sans ce cadre qui les contient, qui les sécurise, ils peuvent développer des déviances, des angoisses, des "dyscomportements", des pathologies qui nuiront à leur épanouissement, à leur équilibre.
Que faire ?
Je dénonce, je critique, mais qu'est-ce que je propose ? Comment aurait pu faire l'institution pour à la fois garantir le respect des règles et l'intégrité du jeune ?
- D'abord relever l'interdit par une sanction réparatrice du type préparation d'un dossier sur les addictions à consulter au BDI durant les intercours, voire les mercredis après-midi, exposé à d'autres classes... à l’école primaire, dans un autre collège…-
- Ensuite la mise en place d'un contrat avec le jeune sur l'attitude et le travail.
- Mise en place d'un tuteur, professeur volontaire et coopté par le jeune. Ils se rencontreront périodiquement pour faire le point et se projeter, débattre, échanger. Rencontre régulière avec la famille du jeune.
- Exigence d'un suivi psychologique.
Il ne me semble pas qu'on puisse dans ce cas là faire l'économie d'un travail sur soi. Je conseille à tous les APIE ce beau voyage intérieur pour comprendre ce que dit l'inconscient, pour mieux se comprendre et « faire avec ».
Une nouvelle fois, l’APIE fait loupe, c’est-à-dire que ce qui n’est pas acceptable pour lui ne l’est pas plus pour les autres jeunes standards, sauf que pour un « précoce », cela peut être vécu encore plus durement. Que la sanction réparatrice fonctionne pour tous et est indispensable pour un enfant précoce. Tout établissement qui veut travailler sur un projet d’accueil d’enfant précoce doit explorer le versant de l’autorité, le rapport aux règles et les conséquences d’une transgression en même temps que d’autres volets : la relation bienveillante, la gestion de l’hétérogénéité, la place de la parole du jeune (citoyenneté), les projets spécifiques, le tutorat…
Si vous avez d'autres idées, des remarques, une expérience, écrivez un commentaire que je publierais éventuellement si vous me le permettez.
Bien amicalement
Jean-François LAURENT