Hier, nous discutons avec une cousine. Elle nous parle de son fils de 17 ans, APIE, précoce. Je suis une nouvelle fois scandalisé de ce que s'est permis l'institution vis à vis de ce jeune. Je vais tenter de vous décrire les faits :
Jérome est un jeune, QI bien sûr de 140 et plus... sensible comme jamais, rebelle à l'injustice comme un APIE peut l'être, ado très ado (cheveux, attitude, excès...), gentil et généreux, suit une thérapie, travaille peu, des difficultés avec l'autorité ou plutôt avec l'autoritarisme. Jérôme vit chez sa mère, a des copains, bref, le lycéen en seconde comme beaucoup.
Le Hic !
Etudiant un poème en classe de français, Jérome apostrophe le professeur parce qu'il ne comprend pas le message du poète. Le professeur commence à remettre en cause les compétences du jeune :
- "Pour qui te prends-tu ? Tu te crois plus doué que le poète, mais tu n'es rien !"
Et la réponse fuse : "Et vous, qui êtes-vous pour me parler ainsi ? Vous n'avez même pas les bons diplômes de prof, vous n'êtes qu'un théâtreux, pas un prof de français, mais de théâtre !".
Jérome doit certainement s'exprimer avec la maladresse d'un jeune de 16 ans... Et le professeur le colle 6 heures et le renvoie du cours.
2 ème acte
Conseil de classe en décembre 2009. Jérome, comme tous ses camarades de classe, passe devant le conseil des professeurs,
seul, eux en arc de cercle assis, lui debout attendant la sentence. Et quelle sentence :
- "Arrête d'avoir des espoirs à l'école, tu n'arriveras à rien"
- "Tu es nul et tu n'as pas le niveau du lycée, tu n'as rien à faire
ici, tu devrais t'orienter en lycée pro, tu ne peux faire que cela. Arrête d'imaginer que tu puisses faire des études, tu n'as pas les moyens de tes ambitions !" Dixit le prof de français
C'est trop violent pour Jérome, trop injuste, il tourne le dos au tribunal des profs et claque la porte.
Dès le lendemain, sa mère est convoquée au lycée par le proviseur qui lui indique que son fils est renvoyé immédiatement du lycée. Ils ne lui trouvent aucun autre lycée, aucune autre solution malgré les demandes insistantes de la maman.
L'association des parents d'élèves prend le dossier en main et propose à Jérome de faire une lettre d'excuse et de la porter au proviseur pour montrer sa bonne volonté. Jérome ravale sa fierté et réalise une belle lettre d'excuse qu'il porte au lycée. Le proviseur refuse de le recevoir et c'est le CPE qui le rencontre pour lui expliquer que ça ne sert à rien et qu'il doit trouver une autre solution.
Depuis ce jour, Jérome est inscrit au CNED par défaut et non par choix. Il est inscrit en première, mange avec ses copains de classe de l'année dernière tous les midis... Quel gâchis !
Si nous nous métions à la place de Jérome
- Qu'a-t-il pu ressentir quand il est agressé par son professeur de français ?
- Qu''a-t-il pu ressentir quand iul passe en conseil de classe et se retrouve seul devant tous ses professeurs ?
- Qu'a-t-il pu ressentir quand il ne reçoit aucun signe suite à sa lettre d'excuse ?
- .......
Et revoici ma théorie du coeur tailladé ! Humiliation, culpabilité, injustice, perte de confiance en soi, perte de confiance en l'institution Ecole, perte de confiance en l'adulte... Et comment va se construire Jérome ? Apprendre alors que les professionnels t'ont affirmé que tu étais nul ! Comment ne pas se rebeller ? Quelle violence doit ressentir Jérome ? Quel avenir pense-t-il ?
Comment un établissement scolaire dont la vocation est d'accueillir des jeunes, de les connaître, de reconnaître leur mode fonctionnement, de communication peuvent-ils agir ainsi ? Curieusement, cette violence là n'a pas été médiatisée et pourtant...
Une nouvelle fois, nous sommes confrontés à la violence de l'institution vis à vis de ses utilisateurs. Une institution violente génère de la violence en retour. Notre système scolaire véhicule une nouvelle fois : soumission, obéissance aveugle, répétition, moulage et conformisme, compétition, alors que ça pourrait être :
- apprentissage, réflexion, coopération, sens des apprentissages, connaissance de soi, émotions...
Plus j'avance dans ma réflexion, dans la vie et ses vagues, plus je me dépouille en matière d'enseignement et d'apprentissage. On n'apprend rien aux élèves, on tente de les placer dans les meilleures conditions pour qu'ils s'apprennent. L'éducateur, le professeur doit se concentrer sur sa mission prioritaire pour moi :
Il est vecteur de confiance en soi, d'image positive, de cadre, d'exemple pour grandir, d'amour...
De plus en plus, je me concentre sur cette mission et je mesure chaque jour les progrès des jeunes dont j'ai la charge. Je suis toujours surpris qu'ils progressent alors que je doute de la manière dont je leur présente le programme, les apprentissages, les contenus. je ne fais pas comme les autres : nous visionnons des vidéos, chantons, complétons un fichier, réalisons des opérations, de l'escrime, des débats... Il n'y a pas de cahiers de leçons, pas de leçons à apprendre par coeur le soir, pas de notes, de punitions...
Et je tente tous les jours de les cadrer, les aimer, leur donner confiance, leur renvoyer une belle image, leur donner le goût de l'effort. Je les vois progresser, montrer leurs apprentissages y compris sociaux. les parents viennent me voir pour me dire que la vie a changé à la maison, que leur enfant a repris goût de vivre, d'apprendre, de jouer et rêver. Oui, les techniques pédagogiques sont importantes, mais le plus important, l'indispensable, c'est la confiance en soi... et ça ne se décrête pas.
Ce n'est pas compliqué pourtant, alors pourquoi l'Ecole ne le véhicule pas ? Pourquoi le professeur n'a -t-il pas demandé à Jérome de rester à la fin du cours en lui nommant ce qu'il avait ressenti, comment il aurait pu s'exprimer, comment in peut réparer... Bref, ils se seraient expliqués.
Puis, comment le conseil de classe ne cherche-t-il pas avec le jeune des hypothèses de recherche, des solutions, des engagements de chacun pour progresser. Ce n'est pas compliqué, gratifiant pour les acteurs, bénéfique pour le jeune. Jouer une logique gagnant / gagnant.
Je suis désolé, révolté, choqué par ce que mon institution a fait vivre à Jérome, comme certainement à des milliers de jeunes. Or, ce sont les plus fragiles, ces jeunes qui auraient le plus besoin de soins, d'attention, d'intelligence des éducateurs et c'est le contraire qui se passe.
Et moi, et toi, que fais-tu pour changer cela, pour aider Jérome ? Pour faire évoluer le système ? J'écris, je dénonce, je cherche ... et je travaille avec de nombreux "Jérome".
Bonne semaine à tous !
Jean-François Laurent