J'ai longtemps hésité sur le titre de cet article. j'aurais pu écrire :
- Un grand corps malade !
- Constante macabre chez les enseignants aussi
- L'évaluation des enseignants en question
- Innovation : pas dans l'Education Nationale !
- Mascarade à inspection Coral !
- Inspection, vous avez dit inspection ?
Et je m'arrête là. Une nouvelle fois, je vais écrire ma grande colère qui touche cette fois une collègue, mais qui est symptomatique du malaise profond qui touche notre système scolaire.
Comme vous le savez peut-être notre école comprend deux classes de cycle 2 et 3 et ce matin, ma collègue Aurélie se faisait inspecter. Tension, peur, appréhension, multiples questions, remise en cause (une de plus)... Et notre inspectrice qui arrive après avoir remis 4 fois sa visite (sans jamais s'excuser). Bref, elle arrive ce matin à 9 h 15 au lieu de 8 h 30 annoncé, reste une demi-heure dans la classe à observer la maîtresse, les enfants, quelques cahiers et à 9 h 45 part sans même dire au revoir aux enfants ou à la maîtresse. Elle se rend chez la directrice pour lui expliquer que rien ne va chez cette enseignante, qu'elle ne pourra même pas faire un rapport ou la noter.... C'est apparemment la catastrophe. Mal lui en a pris. Notre directrice voit au quotidien cette enseignante travailler, suivre les enfants, s'inquiéter, se questionner, progresser... Elle est très satisfaite de cette jeune collègue qui se donne corps et âme pour son métier et la défend farouchement.
Deuxième temps de l'inspection : rencontre entre l'enseignante et l'inspectrice. Et là, rien ne va non plus : aucune remontée positive. A l'entendre, les cahiers sont mal tenus, les élèves de grande section n'ont pas à apprendre à lire il n'y a pas de projets d'apprentissage (alors que la classe en fourmille : projet sur les contes, l'écriture d'un livre ...).
Au cours de l'entretien, Aurélie a les larmes qui lui montent aux yeux. A ce moment là, elle s'entend dire : "Et bien voilà, moi aussi, je vais me mettre à pleurer !"... belle preuve de correction pour quelqu'un qui se veut au-dessus de tout ... et de tous !
Plus tard, l'inspectrice lui affirme que puisque cet enfant est précoce, il devrait avoir une meilleure écriture que d'autres (question : a-t-elle jamais travaillé avec ce type d'enfant ? Sait-elle qu'ils ont de sérieuses difficultés dans le domaine du passage à l'écrit ? Il semble que non ... mais elle est intouchable !
Bref, notre collègue est "cassée" et l'équipe éducative est très en colère.
Pour vous parler d'Aurélie : 25 ans deuxième année d'enseignement avec trois niveaux de classe (grande section, CP, CE1), demande conseil, sans arrêt en recherches et questionnements, travaille beaucoup, sensible, proche de ses élèves et à leur écoute, belle posture cadrante, des idées à revendre. Elle ose "innover" en ouvrant la cloison mobile entre nos classes et ainsi, on travaille à deux professeurs et 38 enfants.O drame !
En y repensant, je me demande s'il n'y a pas eu une pointe de jalousie inconsciente chez cette inspectrice qui a vu quelqu'un mettre en place une
classe qu'elle n'a peut-être jamais tenue ou qu'elle n'aurait jamais su gérer alors qu'une jeune collègue y arrive.
Je trouve que cet incident, qui n'est pas isolé, illustre ce malaise profond qui touche l'Education Nationale et me viennent un
certain nombre de questions :
- Comment demander aux professeurs de respecter leurs élèves si l'institution ne respecte pas ses professeurs ?
- Comment juguler la violence des jeunes quand l'institution est violente avec ses propres jeunes ?
- Pourquoi, dès qu'un enseignant innove ou sort quelque peu des sentiers battus, se heurte-t-il au traditionnalisme éducatif dont on connaît les limites ?
- N' y a - t - il pas un phénomène de cascade négative : ministère (moins de postes,
directives qui reculent...) Inspection Académique, Inspection départementale, enseignants ? Attention, nous allons bientôt maltraiter les enfants si ce n'est pas déjà fait ! (Cela me rappelle
l'histoire du papa qui s'est fait disputer par son parton qui rentre à la maison et qui dispute sa femme. Sa femme voit son enfant et le gronde. Celui-ci en bout de chaîne donne un coup de pied
au chien)
Plus un enseignant est conforme aux attentes prioritaires du système : cahiers bien tenus sans réflexion de fond (ce qui ne signifie pas qu'il faille les négliger mais de grâce, cessons de privilégier la forme au détriment du fond !), respect strict des emplois du temps (sans respect des rythmes des élèves), élèves en silence qui (n') écoutent (peut-être pas) leur enseignant, évaluations certificatives strictes, cahier du jour où l'erreur est stigmatisée grâce aux corrections de l'enseignant au stylo rouge, punitions... et je m'arrête.
Quand je dis que le cas n'est pas isolé, j'en veux pour preuve ma collègue directrice, la cinquantaine dynamique, toujours en quête d'innovation, d'adaptation, de nouvelles lectures, toujours à nous soutenir dans des projets... Je l'ai vu travailler longtemps avec des enfants cette directrice et je l'ai trouvée vraiment performante, à l'écoute et avec des propositions originales. Elle se fait inspecter et s'entend dire : "Je comprends que vous en soyez là, vous n'avez pas été inspecté depuis 20 ans !". " Là ? Où exactement ? A l'endroit où elle met son expérience au service de ses enseignants ? Et bien tant mieux si elle en est là ! Cette remarque revient à dire que sans les inspecteurs ou sans cette inspectrice, point de salut. Ils ne sont malheureusement pas toute la journée avec nous et ... nous survivons !
Autre école, autre inspecteur et même problème avec une enseignante ayant le même profil qui, une nouvelle fois, a été défendue par la directrice qui était ravie de voir à long terme son travail auprès des jeunes dont elle a la charge. Ce n'est donc pas un cas isolé.
Nous ressentons, par ces difficultés, le changement politique fort en matière d'éducation en France. On ne souhaite pas que les élèves réfléchissent mais surtout obéissent aveuglément, qu'ils appliquent des procédures, qu'on morcelle l'enseignement avec retour aux niveaux de classe, au saucissonage grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire...dont on connaît bien les méfaits (le premier étant qu'il n'y a pas de transfert possible : on peut avoir juste à l'exercice de conjugaison et être incapable d'orthographier les verbes dans une lettre à son grand-père)
On confond rigueur et rigorisme, apprentissage et dressage, respect et obéissance, excellence et traditionnalisme.
Cette inspectrice a oublié un certain nombre de points fondamentaux en matière d'apprentissage et qu'elle est pourtant censée véhiculer :
- On apprend uniquement sur ce qu'on sait déjà faire.
- On part des réussites, on ne dévalorise pas de manière systématique, ni le travail, ni la personne.
- Si on veut que l'apprenant progresse, on lui donne confiance en lui.
- Une évaluation ponctuelle d'une demi-heure pour statuer sur les qualités professionnelles d'une personne paraît vraiment succinte.
- Pour apprendre, on ne peut pas faire l'économie de la prise en compte des émotions de l'apprenant et de l'évaluateur.
Pour conclure avec un note optimiste sur les inspecteurs, la personne qui exerçait cette fonction quand j'étais directeur à saint Bruno dans le premier arrondissement de Lyon me tenait à juste titre les propos suivants : "Vous savez, monsieur Laurent, j'ai quelques centaines d'enseignants à suivre, seulement 6 ou 7 me posent réellement problèmes et me semblent ne pas répondre aux minimas du métier. Les autres, je dois venir et leur donner toute l'énergie possible pour qu'ils avancent, continuent. Bien sûr, je leur donne quelques petits conseils, quelques changements, mais surtout je les reconnais dans leur profession. Le lendemain de mon inspection, ils doivent revenir à l'école avec encore plus l'envie de bien faire." Cet inspecteur avait tout compris et certainement, les professeurs qu'il a inspectés communiquaient à leurs élèves cette envie d'apprendre.
Dernière anecdote, mes grands ayant vu Aurélie triste et malheureuse ont voulu à tout prix lui envoyer des chaudoudoux. Et pendant une heure de 13 h 30 à 14 h 30, les voilà en train de lui faire des textes, des dessins, des coloriages. Souvent revenaient dans leurs commentaires : "Tu es la plus gentille, tu es une super maîtresse"...
Et eux, ces élèves, en difficulté ou pas, APIE ou pas, ils l'ont cotoyée plus qu'une demi-heure, Aurélie, et ils savent ce qu'elle leur apporte au delà de l'enseignement : une grande humanité... Et l'essentiel est là, invisible pour les yeux, présent dans le coeur des enfants.
Jean-François LAURENT