Préface
L’école nous habite, fait partie de notre histoire. Tout ce qui s’y déroule nous concerne. A chaque évocation nous voyons des images, entendons des sons, respirons des odeurs, revivons des satisfactions ou des peines. Toujours nous prenons conscience de notre fragilité face à une institution qui s’impose à nous, qui définit tout de nos comportements, de nos apprentissages. Seul l’espace du rêve est libre…et celui de menues transgressions qui préservent un peu de notre identité.
Notre première expérience de socialisation extra familiale se fait le plus souvent là entre les murs de l’école. De sa réussite ou de son échec dépendent nos expériences institutionnelles ultérieures. Bien sûr le déterminisme n’est pas absolu. Il y a des marges de jeu possibles mais elles sont étroites. Chacun sait depuis les travaux des interactionnistes américains que le poids de l’étiquette et du stigmate agissent comme un fatum sur le destin des individus. Ce processus de marquage est d’autant plus efficace que le sujet est vulnérable, ne possède pas les ressources psychiques et sociales suffisantes pour en contester le poids. Ayons toujours en tête que les stéréotypes que nous véhiculons nous incitent, sans en avoir conscience, à découper le réel en catégories signifiantes. Rappelons-nous la célébrissime expérience de Rosenthal et Jacobson dont le classement des élèves d’une classe primaire par niveaux d’intelligence était totalement « trafiqué » et qui a pourtant conditionné le regard que les enseignants ont ensuite porté sur eux.
Savoir que les comportements adultes ont un effet fortement prédictif sur des êtres en construction souligne la difficulté du métier d’enseignant dans un contexte social de plus en plus complexe. Car l’institution scolaire a changé avec la massification et l’hétérogénéïsation de ses publics. Elle a toujours eu une fonction de contrôle social, de moulage des comportements, de formatage des identités. Freinet, Neill, Montessori et bien d’autres pédagogues en ont dénoncé la logique répressive sans pour autant réussir à en inverser le cours tant la mission de normalisation des individus est au cœur de l’institution. Mais cette mission d’ordre prend aujourd’hui un sens particulier face à la faillite des mécanismes de socialisation familiale. Fini le temps des agneaux dociles et des cancres folklorisés et retraitistes. L’autorité a mal à ses racines. Elle ne s’impose plus. Elle doit se conquérir au quotidien dans l’interaction pédagogique. Parties de gagne-terrain épuisantes où rien n’est jamais acquis. Situations explosives que nous décrit Jean François Laurent pour lesquelles les bonnes vieilles recettes ont fait lamentablement leurs preuves. Pas de gaieté de cœur mais par obligation l’institution est tenue d’évoluer sous peine de perdre toute légitimité. Car que resterait-il de la crédibilité d’une entreprise fabriquant de l’échec, non pas celui qui dépend de l’inéluctable variation des aptitudes intellectuelles et des compétences, mais celui de l’entretien ou parfois de la fabrication de la violence.
Quand les enfants apportent avec eux, entre les murs de l’école, ces graines de dévastation dont le monde extérieur les abreuve, l’institution ne saurait leur répondre sur le même mode. Car chacun sait qu’une réponse violente à la violence légitime la violence initiale. Elle se doit plus que jamais de métamorphoser cette violence, de mettre en œuvre des processus d’apprentissage participatifs, pas seulement l’apprentissage des savoirs fondamentaux, lire, écrire et compter, mais celui des formes élémentaires du savoir être en société. Le parcours scolaire se doit d’être, car il n’y a pas d’autres endroits mieux indiqués pour cela, une cure de citoyenneté. L’occasion d’acquérir des habiletés démocratiques dont manquent souvent les adultes, savoir porter une parole construite, non agressive, être en capacité d’écouter l’autre, de comprendre sinon d’accepter sa différence, d’établir une relation, de coopérer à la recherche de modus vivendi mutuellement acceptables….
C’est justement le travail que propose modestement et magnifiquement Jean François Laurent dans ce livre. Modestement car il ne s’appuie pas sur un lourd appareillage intellectuel, ne vend pas un modèle à vocation normative, mais relate simplement une expérience vécue. Magnifi-quement car on voit au travers des histoires rapportées toute une tendre humanité s’exprimer dans les yeux du narrateur et ceux grands ouverts des enfants qu’il côtoie.
Pourtant, « sans avoir l’air d’y toucher » la façon de faire de Jean-François Laurent ressemble à s’y méprendre à une contre-culture. Tandis que l’institution scolaire semble craindre le conflit et le résout verticalement, dans l’urgence, au moyen d’une punition, l’auteur considère au contraire que le conflit peut avoir des fonctions positives, qu’il peut être l’occasion d’un travail profitable, organisé de manière horizontale au cours d’un processus coopératif plus ou moins long. Adaptant la philo-sophie de la médiation, de la communication non violente et des pratiques « restauratives » il nous avertit avec pertinence qu’un conflit peut en cacher un autre, que rien ne sert de se focaliser sur l’explicite du conflit quand ses raisons se trouvent ailleurs, qui ne pourront être identifiées que par un patient travail de décodage. Alors que les émotions s’expriment, que les subjectivités se débrident, que les besoins des enseignants et des élèves se formulent, pour que réparation soit faite ! Quand la punition sanctionne des actes passés et se préoccupe de garantir un ordre formel, la médiation se tourne délibérément vers l’avenir pour construire des régulations concertées. Quand la punition impose un mal, une souffrance pour expier la transgression, les pratiques restauratives font émerger la nécessité « d’agir un bien », pour compenser le mal. Quand la punition choisit des boucs émissaires pour limiter l’espace de la faute à sa plus simple expression, la médiation tente de rejeter les réflexes d’imputation et de responsabiliser tous les protagonistes du conflit.
Contrairement aux apparences la mise en œuvre de cette philosophie d’action ne constitue pas un risque pour l’institution scolaire. Le risque le plus grand serait qu’elle se contente du statu quo quand nos sociétés tremblent sur leurs fondements. Il est de la plus haute urgence de fabriquer des citoyens responsables capables de vivre ensemble le plus harmonieusement possible. C’est cela le développement durable.
Jacques Faget
Ils viennent de se battre, ce n'est pas la première fois. On les sépare. On m'appelle. On me les amène. Leurs regards qui se croisent semblent haineux. Ils respirent fort, la bataille a du être rude si j'en juge par la marque rouge qui strie le cou de l'un (griffure ?) et la couleur violacée d'un bleu naissant sur le bras de l'autre. Je craque. Allez ! Il va encore falloir que je me mette en colère, que je les gronde, les punisse selon la version que j'ai retenue de la distribution des torts. Et ça va recommencer à la prochaine récréation ! Et bien, je recommencerai moi aussi, Et la récréation suivante, Et le mois suivant. Et l'année prochaine… Et je recommencerai… Une fatalité ! ? Je vois bien pourtant que cela n'apporte rien. Qu'attendent-ils de moi ?
Voilà bien longtemps que je sais qu'une punition ne résoudra rien entre eux. Alors ? Alors, je vais faire ce en quoi je crois le plus, je vais leur laisser la possibilité de dire, de se dire, ce qui n'a pas été possible d'exprimer autrement que par des coups vraisemblablement.
N'est-ce pas là mon rôle ? Leur apprendre. Avant d'intégrer les règles de grammaire, ne doit-on pas porter l'attention sur l'intégration des règles en général, celles qui permettent de vivre ensemble ? Cet apprentissage-là de la vie ensemble est une des missions essentielles de l'Ecole. Une trans-gression de règles, un conflit entre élèves, sont des espaces d'apprentissage de la vie en société.
J'ai déjà utilisé les punitions : lignes, rete-nues, travail supplémentaire, piquet. Aujourd'hui, je sais que cela ne sert à rien mais qu'une sanction réparatrice qui donne à l'enfant la possibilité de réparer ce qu'il a détruit un objet, la relation, mais aussi de SE réparer (en agissant pour se sentir mieux), une sanction qui construit l'avenir, qui n'humilie pas et qui aide l'enfant à se respon-sabiliser est la solution, ma solution en tout cas et que je souhaite partager ici. C'est bien à l'école qu'il est nécessaire, voire indispensable de mener ces apprentissages de la vie en société. Des appren-tissages non fondés sur la domination, la compétition et la peur, mais sur l'intelligence, l'écoute de soi et de l'autre, le respect des règles, l'expression des émotions et des besoins de chacun pour que la différence soit vécue comme une richesse.
Maintenant, je vous propose de me suivre à travers mon travail de prévention et de gestion des conflits à l'école primaire durant une année. Une partie du livre traite d'un travail mis en place au dernier trimestre scolaire dans une classe de CM2 de plus en plus difficile à gérer au quotidien. La deuxième partie cite différents cas sur la cour de récréation, à l'étude, en classe, au restaurant scolaire… Vous trouverez également en pages de couleur le livret distribué aux enfants de la classe en fin d’année.
Les chemins que j'emprunte peuvent donner des pistes différentes de résolution des conflits dans les écoles sans passer par la répression et la punition. Sceptiques seront certains. Justement, allons voir ! Car, que vous me croyiez ou non, nos deux combattants du départ ont pu reprendre leur partie de foot... Et la classe ensuite !
Ce que nous retenons de cette séance porte essentiellement sur la forme. La manière de s’exprimer devient très importante. Le travail de l'intervenant consiste à donner des pistes pour s’exprimer sans blesser l’autre. Il est possible alors d'utiliser déjà le terme : « empathie » : Se mettre à la place de l’autre pour comprendre la situation de son point de vue.
Nous parlons beaucoup des phrases « je ». Débuter ses phrases par « je », parler de soi, de ses ressentis et non de l’autre, sur l’autre. « Il nous prend pour des bébés… Je ressens… quand il dit cela… ». Nous nous entraînons donc à débuter nos phrases par « je ». Cela fait un peu artificiel, mais c’est un très bon exercice qui nous servira tout au long des séances durant lesquelles des enfants en interpelleront d’autres pour parler d’eux, de leur ressenti et non parler sur l’autre, à la place de l’autre et en lui attribuant des intentions qu’il n’a pas nécessairement.
@ A retenir
Même en colère, tenter de formuler des phrases commençant par "Je". Car le "tu" tue. Parler de soi et non sur l'autre, celui-ci ne pourra pas le contester. Un ressenti personnel ne se conteste pas et ne porte pas atteinte à la dignité de l'autre. Ce n'est pas agressif.
Une autre étape : Apprendre à dire et se dire. Parler positif
Les enfants furent très surpris que je leur demande de trouver des qualités chez Nicolas. Ils travaillèrent en demi-groupe et purent prendre la parole spontanément pour exprimer ses qualités. Je leur expliquai pourquoi il était indispensable de reconnaître et nommer les points positifs d’une personne, puisque ces éléments nous permettraient d'avancer. J'avançai que ce pouvait être une découverte pour l’autre également de se sentir reconnu dans des traits de caractère ou de personnalité qui éventuellement lui sont inconnus ou non conscientisés.
Toujours sur le problème des relations avec Nicolas, je propose cette fois aux enfants de réfléchir à partir d’un écrit et d’une fiche à remplir qui met l’accent sur leurs ressentis et sur la recherche du positif chez l’autre. Cette feuille me sera rendue et en fonction de ce qui est écrit et de l’état des relations entre les deux opposants du conflit, je le communiquerai tel quel ou non. Il s'agit d'un recentrage fort sur les faits et les ressentis de chacun ainsi qu’un dernier item qui tourne son regard vers l’avenir avec l’expression des besoins pour avancer.
@ A retenir
Lors d'un différend avec quelqu'un, il est toujours possible de rechercher quelque chose de positif et sincère avant de formuler la remarque. Dans l'aide à la résolution d'un conflit, il est pertinent de trouver avec les partenaires du conflit des points positifs sur l'autre partie. Cela permet à chacun de reconnaître l'autre et de ne pas le voir tout en noir, d'ouvrir une porte par laquelle travailler et pouvoir nommer à chaque partie les qualités qu'il reconnaît chez l'autre.
Problème de Racket en CM2
Mickaël et Jérémy ont menacé plusieurs enfants de la classe pour obtenir qu'ils leur apportent un goûter à tour de rôle. Si un enfant refuse, il est frappé en cachette dans les toilettes. Heureusement Leila, une fille de caractère en parle à l'enseignant qui prévient la directrice. Les deux enfants sont identifiés et reconnaissent leur activité illicite. La responsable marque la règle en nommant très clairement l'interdit. Elle pose une sanction de trois jours en les faisant venir en classe maternelle. Il s'agit de sa classe. Ils seront en charge d'ateliers d'activités libres. Très vite, ils sont confrontés aux règles que les petits transgressent régulièrement : non respect des affaires de l'autre, pleurs, coups, jeux renversés. Ils doivent donc s'activer pour faire comprendre ces règles. Ils deviennent acteurs de paix. En même temps l'enseignant et la directrice leur demandent de rédiger un texte sur ce qu'ils ont fait, la règle qu'ils ont transgressée.
Pendant ce temps, les autres enfants ont réagi et beaucoup discuté avec leur enseignant et entre eux. Ils n'ont plus confiance, ils se sentent en insécurité. De ce fait, il est demandé aux deux enfants de préparer une communication orale où ils s'engagent à respecter un certain nombre de points. Mickaël et Jérémy risquent sinon d'être exclus du groupe. Les autres leur nomment clairement ce qu'ils attendent. Ils ont désigné un rapporteur et, avant que les deux transgresseurs reviennent dans leur classe d'origine, un texte d'engagement nommant leurs besoins leur est communiqué. Les deux parties se sentaient à la fois menacées et renforçaient leurs attitudes de défense par l'exclusion et la solidarité. En insécurité après les menaces, le groupe classe a resserré les liens qui les unissaient : pour certains, cela faisait huit ans qu'ils étaient ensemble, ils étaient prêts à faire corps devant l'ennemi et donc à rejeter et bannir de la classe les deux transgresseurs. Ceux-ci auraient été en danger s'il n'y avait eu un travail de fond sur le problème.
En se parlant, en nommant les ressentis de chacun, en analysant l'évènement, en recherchant des réparations constructives, la communication et la confiance se sont rétablies. Au bout d'une semaine, tout rentre dans l'ordre. Aucun incident n'est à signaler jusqu'à la fin de l'année scolaire. Mickaël et Jérémy prennent régulièrement du temps pour jouer avec les petits de moyenne section avec lesquels ils ont sympathisé. L'image qu'ils ont d'eux-mêmes s'est améliorée. Ils ont dû assumer leurs actes et leurs conséquences puisqu'ils ont été obligés d'y réfléchir, d'en parler, de présen-ter leurs excuses, de rassurer le groupe et de se rassurer eux-mêmes.
Les deux éducateurs ont très bien géré cette situation. Ils ont rappelé fermement la règle et en même temps ont ouvert un espace de dialogue devenu espace d'apprentissages pour tous. La classe a pu travailler également sur l'attitude à avoir quand on se sent menacé, racketté. Des paroles de vérité ont été prononcées. Le respect de tous est de mise. Que ce serait-il passé si les éducateurs s'étaient placés dans une logique d'exclusion et de rejet ? Les enfants se seraient sentis humiliés, leur famille aussi. Les autres enfants auraient vécu avec une crainte de récidive. La confiance dans la classe aurait été rompue. Ils n'auraient rien appris de positif de cette transgression, auraient sans doute été prêts à recommencer en renforçant éventuellement les menaces vis-à-vis des autres pour être mieux cachés et prendre moins de risques. Mais là, cela ne s'est pas passé ainsi. Nous sommes bien dans une logique de sanction et non de punition.
@ A retenir
La sanction est tournée vers l'avenir. Elle a pour fonction de responsabiliser les acteurs de la transgression, elle respecte les acteurs du conflit sans les humilier ou les ridiculiser. Elle permet entre autres de travailler sur le sens de la règle et de réparer ce qui a été abîmé.