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L’école en danger !

L’enseignant voulant sortir de l’anonymat a compris le processus pour être exposé dans les médias. Nous en avons encore l’illustration avec ces cinq professeurs qui annoncent avoir effectué une enquête statistique démontrant un niveau orthographique en baisse. La recette nostalgique n’est pas d’hier. En 1899, Victor Bérard, maître de conférence à la Sorbonne déplorait déjà cette chute du niveau : « J’estime que les trois quart des bacheliers ne savent pas l’orthographe ». Plus récemment en 1956, on a pu lire : « La décadence est réelle, elle n’est pas une chimère : il est banal de trouver 20 fautes d’orthographe dans une même dissertation littéraire des classes terminales… le désarroi de l’école ne date réellement que de la quatrième République. »

J'ai appris qu’un ouvrage récent qui fait l’apologie d’une école constituée de souvenirs, surfant sur cette ligne nostalgique filtrée par le tamis de l’idéalisation, s’est vendu à 400 000 exemplaires ! Je suis sidéré.

Le sous-titre pourrait en être : « Comment caresser dans le sens du poil tous les désappointés de l’école, ces déçus de l’âge qui avance…  »  Ils sont nombreux… encore englués dans un conflit de loyauté vis-à-vis de leurs parents et/ou la peur de l’avenir cet inconnu mystérieux qui empêcherait toute évolution du système scolaire. Serait-il impossible de remettre en question sa propre éducation sans s’accuser de crime de haute trahison envers son père ou sa mère ?

Le cinquième commandement : « Tu honoreras ton père et ta mère » implique-t-il nécessairement de mettre la poussière en recette ? (cf. le débat sur les méthodes de lecture). L’école est aussi en crise parce qu’elle n’a pas su s’adapter au monde du XXIème siècle et à ses enfants n’ayant qu’une visée passéiste et nostalgique du temps de nos grands-pères voire en-deça.

 « Notre jeunesse […] est mal élevée, elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect pour les anciens. […] Ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement mauvais. » constatait déjà Socrate (470-399) av. J.C.

Moi-même, je m’interroge sur l’école actuelle. Ma déception ne vient cependant pas du tout de cette analyse qui me paraît simpliste et par laquelle il suffirait de revenir en arrière pour que tout s’arrange. Ainsi donc il faudrait mettre la faute sur le dos des nouvelles méthodes, sur le rôle des pédagogues et sur les programmes ? Il me semble à l’inverse que c’est surtout le manque de pédagogie et d’évolution dans l’éducation qui est en train de tuer l’école.

 

Tous les jours, je suis au cœur des écoles et travaille avec des enfants en rupture scolaire. Ils sont  en quête de sens parce que le système proposé ne tient pas compte de l’enfant et je les retrouve dégoûtés d’apprendre parce qu’ils ne savent ni pourquoi ni comment ni surtout qu’apprendre. On leur a demandé de se taire, de laisser leurs affects à la porte d’entrée, de les reprendre à la sortie, d’écouter et de copier. C’est aussi cela qui les a tués.

Soyons clairs ! Les changements et dérives tant décriés restent trop mineurs pour avoir de l’impact et c’est précisément pour cela que l’école est en crise. D’où me viennent ces propos ? Mon expérience quotidienne d’enseignant spécialisé, celle de formateur d’enseignants qui me permet chaque semaine de rencontrer des professeurs, une expertise du terrain vécu quotidiennement m’y ont amené. Ce que j’observe est loin d’être la réalité décriée par certains de ces enseignants victimes de leur histoire. J’estime à environ 10 % le nombre d’enseignants qui ont fait évoluer leur pédagogie vers des démarches actives : confrontation aux tâches complexes, recherche de sens, interaction entre élèves, temps d’analyse des apprentissages, de recul, évaluation formative, place de l’erreur… L’immense majorité des pratiques n’a que peu évolué et ne s’est pas suffisamment adaptée aux exigences du monde d’aujourd’hui.

 La pratique de la dictée hebdomadaire est toujours généralisée, la mémorisation systématique de listes de mots ou de leçons à restituer « par cœur » demeure courante, l’apprentissage segmenté du français avec les traditionnelles leçons de grammaire phrastique, d’orthographe, de conjugaison, de vocabulaire et d’expression écrite reste la norme des apprentissages … tout comme il y a trente ans. Quand on soutient que la dictée n’est plus pratiquée, que les méthodes modernes nuisent à l’enseignement, qu’il faut revenir aux bonnes vieilles recettes d’antan, je m’insurge. C’est faux ! IMPOSTURE. Ce sont précisément ces prétendues « bonnes vieilles méthodes » qui nuisent à la bonne marche de l’école, à la montée du niveau que tout le monde réclame à cor et à cri. Alors, commençons par faire le ménage dans l’école et à dépoussiérer réellement les pratiques scolaires plutôt que de réclamer le renforcement de celles-ci. Il y a urgence.

Rien n’a fondamentalement changé dans les pratiques scolaires. Hélas ! Le Monde, lui, a évolué, les jeunes ont changé, les nouvelles connaissances se sont accrues de manière exponentielle, les connaissances sur l’apprentissage ont avancé mais l’école n’a pas bougé et certains voudraient néanmoins qu’elle revienne « au bon temps nostalgique où j’étais encore jeune ». Que ceux-là observent réellement ce qui s’y passe : cette école est trop immobile et n’a pas réalisé une vraie révolution vers plus de pédagogie afin de favoriser encore plus le savoir. Vouloir opposer pédagogie et savoir est une erreur fondamentale. L’une ne va pas sans l’autre et vice versa. 

Je plains le professeur qui voudrait déroger à ces pratiques habituelles dont l’unique sens est d’unir et de lier les générations entre elles, de leur donner des repères communs même si elles sont caduques : « Un son tous les deux jours en CP, mémorisation de mots, cahier du jour, leçon à apprendre à la maison, poème à réciter sans comprendre sous le prétexte fallacieux que cela développe la mémoire, pédagogie du tableau noir pour ceux qui ne comprennent pas, lever de doigt où celui qui sait pose les questions alors que ce devrait être l’inverse… » Malheur au pauvre enseignant qui voudrait innover et changer ces pratiques consensuelles.

Il semble à la fois difficile et un peu simpliste de critiquer une Ecole  qui nous rappelle notre jeunesse perdue. Et pourtant … pourquoi serait-ce se renier soi-même que de remettre en cause une organisation tout simplement parce qu’elle n’a pas su évoluer avec son temps ? L’école correspond à l’enfance des années soixante ou soixante-dix et non au monde moderne. Il apparaît alors plus confortable, « tendance et porteur » voire médiatique de souhaiter le retour d’une école dont on a la nostalgie alors qu’elle est toujours présente dans les faits … Il est évidemment difficile de le reconnaître pour la faire évoluer sans « tuer son enfance perdue ». Nostalgie, quand tu nous tiens !

N’y aurait-il pas un enjeu politique à l’exposé de ces idées passéistes et ce conflit sur l’école ? Les uns accablent la pédagogie alors que ce sont un trop grand immobilisme et un manque crucial de pédagogie réelle qui empêchent l’école de s’adapter. Ce clivage important n’est-il pas le fait de l’écart entre les progressistes et les conservateurs, entre les personnes tournées vers l’avenir et les nostalgiques d’un ordre ancien apparemment si rassurant ?

Espérons que le débat sur l’Ecole soit repris en profondeur par les candidats à la présidentielle. Au-delà des effets d’annonce sur une pseudo autorité retrouvée parce que les élèves se lèveront quand leur professeur entrera en classe, la question se pose : à quand un « Nicolas Hulot » de l’Ecole pouvant inviter les futurs présidentiables à se positionner sur un « Pacte Educatif » fort et profond lequel remettrait totalement en question les « habitus scolaires »  nuisibles à son évolution ?

 

Jean-François LAURENT, conférencier, écrivain, formateur, chercheur

contact@hommesinidees.fr

Brighelli J-Paul « la fabrique du crétin »J-C Gawsewitch éditeur 2006

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