Et si on remettait en cause des postulats qui abîment l’école et la rendent difficile à vivre au quotidien, que ce soit pour les professeurs, les parents ou les élèves.
Ces postulats tournent autour de l’hétérogénéité.
En langage plus simple, l’idée développée est la suivante : si on place ensemble dans une même classe des enfants qui se ressemblent, que ce soit par leur niveau scolaire, leurs origines sociales, leur attitude ou leur âge, la classe fonctionnerait mieux. Elle serait plus facile à gérer pour le maître qui n’aurait en face de lui qu’un niveau d’élèves et qu’il pourrait ainsi enseigner de manière uniforme, univoque comme s’il n’avait qu’un élève en face de lui. Les élèves apprendraient mieux et plus… Et tout a été organisé de manière à nous faire croire que cela fonctionnait. Et pourtant, que d’échecs scolaires, que de professeurs en dépression. C’est une impasse éducative et pédagogique !
Au nom de quelle expérimentation, concept, puis-je m’exprimer ? A la lumière de ce que je vis cette année comme professeur du primaire. Mon hypothèse de départ est la suivante : En plaçant volontairement ensemble des enfants de 6 ans et de 11 ans ensemble, certains en rupture scolaire forte, d’autres intellectuellement précoces et ayant un ou deux ans d’avance, des enfants très introvertis, d’autres ayant des troubles de concentration, ils s’apporteraient, s’apprendraient mutuellement et ce ne serait pas plus lourd à gérer.
Nous avons poussé l’idée encore plus loin puisque nous venons de rentrer de classe de découverte dans le Cantal où nous avions réunis deux classes : la classe de cycle deux avec des enfants de 4 à 7 ans et des enfants de la classe de cycle trois avec des enfants de 6 à 11 ans. A partir de janvier, une construction nouvelle à l’école va nous permettre d’avoir nos deux classes côte à côte qui seront séparées par une cloison mobile afin de proposer aux enfants une confrontation à des compétences communes.
Quels sont les premiers effets visibles ?
Quand je vois Benoit, enfant en blocage scolaire jusqu’à cette année et qui doucement commence à écrire, lire, servir à une petite fille de quatre ans avec une grande attention son jus d’orange le matin au petit déjeuner, que je l’observe, l’encourage et qu’il sourit ;
Quand je vois Maïté obligée de s’exprimer pour accompagner un petit garçon et l’aider à sauter un tronc d’arbre et le consoler quand il a eu peur alors que cette dernière ne parlait jamais en classe, n’apprenait pas, que je la remercie ;
Quand je vois ce petit garçon de 6 ans qui sait toutes ses tables par cœur et doit expliquer comment il s’y prend pour les retenir à d’autres qui n’y arrivent pas,
Quand je vois Joseph, ce garçon si agité se poser à côté de petits enfants de 5 ans, les faire rire, puis leur lire une histoire pour les calmer avant d’aller dormir,
Quand je vois Cindy, cette grande qui n’a plus confiance en elle parce qu’elle a été constamment en échec scolaire et qui aide un enfant qui a un an d’avance à s’organiser sur sa page de classeur et écrire ses leçons sur son cahier de texte
Quand je vois…. Leur humanité mise en avant, les confrontations de chacun qui leur font donner le meilleur d’eux-mêmes, je me dis que l’hétérogénéité, c’est génial.
Au lieu de vouloir à tout prix gommer cette hétérogénéité, il me semble plus pertinent de la favoriser sans rester à une militance que je portais il y a peu encore : « L’hétérogénéité, il ne faut pas lutter contre, il faut faire avec ! »
Maintenant, je propose : « L’hétérogénéité, il ne sert à rien de lutter contre. En plus de faire avec, il faut la favoriser comme un levier qui permet de mieux apprendre. C’est un plus pédagogique. »
Mais un certain nombre de conditions sont à remplir pour permettre cette gestion nouvelle de la classe :
- Ne pas rentrer dans les apprentissages par les connaissances, mais par des situations complexes d’apprentissage qui peuvent ainsi se décomplexifier en fonction des enfants. (Proposer d’abord une situation de communication écrite plutôt que la « pseudo découverte » d’une règle d’orthographe pour tous)
- Motiver les apprentissages en favorisant les projets de travail : réaliser un exposé, écrire une lettre, résoudre un problème de maths, … Donner du sens aux situations de travail.
- Ne jamais mettre les enfants en compétition, favoriser la coopération. Il n’y a pas de notes avec classements, comparaisons ou autres systèmes qui stigmatisent des erreurs et transforment des difficultés en fautes.
- Il n’y a pas de punitions, mais des sanctions réparatrices qui permettent à l’enfant de prendre confiance en lui.
- L’évaluation certificative des élèves porte autant sur le scolaire traditionnel que sur les aptitudes humaines : la créativité, le courage, la droiture, la ténacité, l’humour, le respect des autres et de soi, l’art de collaborer avec autrui, le champ artistique, physique, la relation à l’autre, la facilité de communiquer…
- Favoriser un climat empathique les uns vis-à-vis des autres.
J’ai renoncé à vouloir classer les enfants que j’accueille dans cette classe de cycle trois. Je ne cherche pas à savoir qui est en CE2, CM1 ou CM2 officiel, qui est intellectuellement précoce ou pas, en rupture scolaire ou pas, dyslexique, redoublant… Ils sont et nous apportons nos différences comme des richesses. Mettons que des EIP ensemble et il y aura compétition à celui qui aura le plus gros QI ou le niveau le plus élevé. Créons une classe avec que des enfants en rupture scolaire et ils n’apprendront pas parce que tirés par le bas, Mettons ensemble des enfants qui ne parlent pas et la classe sera mortellement silencieuse. Les différences se complètent, ouvrent des portes vers d’autres possibles, apprennent entre autres l’humilité, la confiance en soi, le respect de l’autre, des dimensions si importantes pour moi.
En reprenant les multiples intelligences d’Howard Garner,* une classe hétérogène les sollicite mieux et plus souvent.
Je me suis donc trompé, avec l'hétérogénéité, il ne faut pas l'ignorer, faire avec mais l'idée sous-jacente est que sans elle ce serait mieux, mais bon ! Il faut aller la rechercher comme un moteur, un levier, un appui, un incontournable à l'apprentissage.
"Je m'enrichis de nos différences"
Jean-François LAURENT
* Howard Gardner y propose sa conception modulaire de l’intelligence et la définition de sept intelligences. Plus tard est
venue s’y ajouter une huitième : logico-mathématique ; linguistique ; spatiale ; corporelle/kinesthésique ; musicale ; interpersonnelle ; intrapersonnelle ;
naturaliste ; et la huitième et demi : existentielle.
Les deux premières sont traditionnellement celles que l’école valorise le plus, l’intelligence logico-mathématique de plus en plus, au cours des cinq cents dernières années, au détriment du
langage.
Les trois suivantes touchent à des domaines plus artistiques. L’intelligence spatiale a été indispensable aux grandes découvertes, l’intelligence corporelle est particulièrement mobilisée dans le
sport, et l’intelligence musicale rythme et harmonise. L’intelligence interpersonnelle et l’intelligence intrapersonnelle ont été les plus discutées, la première étant celle que nous employons
dans notre compréhension d’autrui et notre capacité à travailler ensemble, la seconde dans notre compréhension de notre propre fonctionnement.
L’intelligence naturaliste classe et définit, traditionnellement les plantes et les animaux mais de nos jours également, sous une forme « recyclée », les marques dans les
supermarchés.
L’intelligence existentielle, dernière née de la théorie, n’est pas encore complètement acceptée ; les dénominations d’« intelligence religieuse ou spirituelle » ont été rejetées,
il se peut qu’elle soit retenue comme l’intelligence des grandes questions.
Je n'en doutais pas, mais j'avais envie de goûter ce merveilleux gateau d'une classe hétérogène, très hétérogène. Nous avons même, avec brigitte,
la directrice de l'école, recherché cette hétérogénéité en faisant le pari que ces différences multiples créeraient des richesses et un plus chez les enfants.
Nous ne nous étions pas trompés.
Nous avons à la fois des enfants de 6 ans qui sortent du CP (enfants intellectuellement précoces)
des enfants de 7 ans en difficulté scolaire qui sortent du CE1
Des enfants de 7 ans qui s'ennuyaient en classe
Des enfants qui sortent du CE2 et suivent un CM2
Des CM2 en difficulté
Et j'en passe ...
La différence majeure me semble-t-il, l'écueil à éviter à tout prix pour un enseignant est de rentrer dans l'apprentissage par les contenus de programme. J'explique : si vous rentrez par un
contenu comme par exemple la règle de [a et à], vous allez provoquer un certain nombre de comportements inapropriés. certains enfants s'ennuieront parce qu'ils maîtrisent déjà cette notion.
D'autres s'ennuieront prcequ'ils n'en sont absolument pas là. C'est trop difficile pour eux. D'autres encore ne seront pas motivés parce qu'ils ne voient pas à quoi cela sert. Enfin, chez
certains, en très petit nombre, cela ira parfaitement. Ils en avaeint justement besoin ce jour là.
Si vous rentrez par le projet, par une situation complexe d'apprentissage comme par exemple une lettre à écrire pour demander si nous pouvons aller lire des histoires
dans les classes de l'école et au personnel, la situation porte en elle le fait d'être plus motivante, de mobiliser de nombreuses connaissances, d'être plus ou moins complexe en fonction du
niveau réel des enfants. L'entraide sera favorisée et d'avantage d'enfants apprendront.
Je me réjouis de mener à bien ces projets. La semaine prochaine, nous spartons en classe de découverte et, une fois encore, nous allons encore grandir l'hétérogénéité des
classes en groupant la classe de cycle deux et celle de cycle trois.
Vive l'hétérogénéité, vive les classes multi grades ! !