Du renvoi du cours à la salle d’étude Ou le passage de relais au collège !
Suite à une formation avec des éducateurs : C.P.E. surveillants, A.V.S. E.V.S. dans un collège de
Lyon, j’ai souhaité réfléchir à un « habitus scolaire» quotidien du collège : le renvoi des élèves du cours vers la salle d’études, pratique largement répandue dans
l’hexagone.
Un enfant est renvoyé de classe et arrive en salle d’étude. Il peut être renvoyé pour différents motifs : arrivée en retard, travail personnel non effectué,
oubli de matériel, indiscipline diverse et variée. Quoiqu’il dise, qu’il fasse, quoique soit son attitude lorsqu’il arrive en salle d’étude : arrogante, agressive, renfermée, neutre, blasée,
le jeune a subi une blessure narcissique. Il peut être blessé, se sentir coupable, même s’il dit ou montre le contraire, même si cela le satisfait apparemment, répond, conforte son statut social
dans la classe qui peut être celui du rebelle, de l’insoumis, du cancre… Au moins, il a un statut dans son groupe de référence, Quand bien même, ce n’est pas la réalité intérieure du jeune. Il
camoufle cette fragilité, le professeur cache son état intérieur, sa frustration de la classe et des élèves idéaux. C’est une situation subie, de substitution qui révèle les limites de chacun des
acteurs.
Du point de vue de l’élève
Arrive donc notre exclus dans une situation de l’entre deux. Vu par le jeune, cela a pu être injuste ou juste. Il en veut au professeur ou pas… Mais, quoique son
attitude montre, quelles que soient ses paroles, il est blessé, consciemment ou pas. Il peut jouer un rôle qu’il s’est attribué, il peut subir une situation qu’il ne maîtrise pas. Il se sent
dévalorisé, rejeté, mal, quelque soient les signes extérieurs.
« Nous ne connaissons pas de cancres volontaires heureux ! » nous disait Georges Oltra.
Du point de vue du professeur
Que peut ressentir le professeur ? Il avait bien préparé son cours et un des jeunes le provoque, ne rentre pas dans son cadre. Il est déçu, énervé, en colère,
blessé, que cet élève n’a rien à faire dans cet établissement, il a peur de ne pas y arriver, que va dire sa hiérarchie, conforté dans son idée que de son temps cela n’était pas pareil. Il doit
assoir son autorité, pour l’exemple, pour la classe, pour ses collègues, pour lui. Les ressentis du professeur sont certainement multi dimensionnelles et mixent plusieurs émotions comme la colère
et la tristesse, la peur… L’attitude du jeune lui renvoie une mauvaise image, son égo est mis à mal … ou à distance en feignant l’indifférence, consciemment ou pas.
- « Sans lui, cela irait mieux ! De toute manière, lui, il ne fout rien et il dérange… »
Ce jeune peut lui renvoyer ses propres limites comme lui permettre d’assoir son autorité, assouvir son pouvoir comme contribuer à son confort professoral sans nuire
à sa logique de transmission de connaissances dans une classe « sage » et à l’écoute. Il a posé un acte habituel ou exceptionnel. En tout état de cause, il a renvoyé à d’autres la
gestion de ce jeune.
Dans quelles conditions a-t-il pu le renvoyer ? Sur un éclat de voix, suite à une transgression de règles, une provocation, une récidive de provocation, une
fin de non obéissance, un coup de sang, une lassitude extrême…
Du point de vue du surveillant
« - Encore lui, oh non ! Il va encore me mettre le bazar dans ma salle !
- Il m’énerve ce prof, il en renvoie toujours deux ou trois chaque cours, il devrait changer de métier ! »
Et la salle est déjà pleine, on est vendredi après-midi, le surveillant est fatigué, c’est sa quatrième heure d’étude. Ils n’ont rien à faire, aucune consigne n’a
été donnée. Il ne sait pas quelle attitude adopter : indifférence, le gronder de nouveau, le sauver en lui remontant le moral. N’oublions pas que l’élève arrive avec un message du
type : « le professeur m’a viré alors que je n’avais rien fait ! De toute façon, il ne peut pas me voir ! Ou en feignant l’indifférence, la colère, les pleurs, le
blasé.
Je résume ce scénario catastrophe : Un professeur excédé renvoie de son cours un élève blessé que reçoit un surveillant décontenancé dont le statut d’autorité
est contesté, voire non reconnu par l’ensemble des membres de la communauté éducative.
L’enjeu est majeur : Comment dans cette situation o combien complexe, noire et difficile, cette pratique du renvoi devienne un acte éducatif
majeur, constructif de l’apprentissage des règles, de la personnalité du jeune, du renforcement de son égo, de la confiance qu’il doit avoir en lui ? Mais également le renforcement du
professeur et du surveillant, le statut du collège qui devrait être un lieu de paix, de construction des savoirs et des attitudes positives ? Comment renverser la tendance et jouer
gagnant / gagnant dans cette situation courante du collège ?
Comment tous les membres peuvent se situer dans une logique constructive ? Cela dépend des
adultes éducateurs.
Le professeur, quand il analyse la situation et que celle-ci n’est plus porteuse d’apprentissages, que la tension monte, qu’il n’a pas les mots,
que l’élève l’a provoqué… Il peut avoir ce type de dialogues suivant :
« - Je t’ai déjà demandé plusieurs fois de te taire, je vois que tu n’y arrives pas. J’ai comme mission de faire cours à tous dans de bonnes conditions. Or, je
n’ai pas les mots, je n’arrive pas à te placer dans les bonnes conditions. Je commence à m’énerver et j’ai peur que les mots dépassent ma pensée. … Je ne sens pas bien en classe. J’ai peur que tu
n’arrives à gérer ton attitude, ni moi à t’aider correctement et cela ne conviendra pas à la bonne marche de la classe, je te propose d’aller récupérer en étude avec Mme xxx. Peut-être que cela
sera bien pour toi….J’ai des difficultés, la classe a des difficultés, non pas avec toi, mais avec ton attitude. Je te propose d’aller en salle d’étude avec un autre éducateur, dans un autre
lieu. Nous reparlerons de la situation ultérieurement. Va te reprendre, tu reviendras meilleur. Non, je ne peux pas accepter ton attitude, j’ai l’impression que tu me cherches, que tu
me provoques ! C’est mon impression, peut-être que ce n’est pas cela pour toi, en tout cas, c’est ce que ça donne à voir et je ne l’accepte pas ! On en reparlera plus tard…»
- Un moment où le professeur ne passe pas sur les transgressions, les relève sans culpabiliser, nomme ce qu’il voit, ressent, analyse.
- Des paroles où le professeur parle de lui et non sur le jeune.
- Des paroles où le jeune n’est pas remis en cause. On parle de son attitude qui ne convient pas, pas de lui.
- Des phrases qui commencent par « Je » et non qui parlent sur l’autre.
- Une attitude empathique du professeur, mais ferme, qui tient son statut et sa fonction de professeur qui doit assurer le cadre optimal pour que ses élèves
apprennent.
D’où un élève qui ne se sent pas rejeté, mais accompagné dans ses difficultés relationnelles et comportementales, contenu dans ses provocations éventuelles, qui
existe, a le droit à l’erreur, mais accompagné sur son chemin.
L’éducateur surveillant accueille le jeune. Il peut ou n’a pas les moyens d’écouter le jeune. Il a le temps, les moyens, il peut tenir le type de
discours et d’attitude suivant. Il est dans l’accueil du jeune qui ne va pas bien, non dans le jugement ou dans un rôle de garde chiourme. Il est dans l’accompagnement.
« Bob, viens me voir. Qu’est-ce qu’il s’est passé pour toi ? Qu’as-tu ressenti à ce moment
là ? D’après toi, qu’a pu ressentir le professeur ? Quelle est ta part de responsabilité dans cette affaire, la seule réponse interdite, c’est aucune. Si ce n’est que de sa faute,
alors, tu ne peux pas agir sur la situation. Quelle règle as-tu transgressée et en quoi elle te protège ? Pourquoi est-elle intéressante cette règle pour toi ? Comme pour moi
d’ailleurs ? La situation se reproduit demain. Comment peux-tu faire autrement pour que ce soit acceptable pour toi comme pour le professeur et que tu puisses te sentir respecté, mais le
professeur aussi ? Y a-t-il quelque chose que tu voudrais dire au professeur, ou écrire, ou que je lui dise en ton nom ? Comment peux-tu réparer ? Nous demanderons au
professeur si besoin. »
Dans ce type de dialogue, l’éducateur s’appuie sur des éléments de médiation et de gestion enrichissante des
conflits. Il lui demande pour lui les faits, ses ressentis. Il tente de le mettre en empathie, c'est-à-dire à la place du professeur. Il lui rappelle la règle et le sens de celle-ci et en quoi
elle est intéressante pour lui, il lui propose de rattraper, de regagner éventuellement la confiance du professeur, de l’institution. Il est dans une logique de sanction pour préparer un meilleur
avenir. En ouvrant un dialogue apaisant avec le jeune, celui-ci peut être amené à lui confier les vraies raisons de son attitude, les raisons cachées qui nécessitent du temps pour émerger et être
exprimées.
Ensuite, un dialogue peut s’instaurer entre le professeur, l’éducateur et le jeune afin d’harmoniser les
positions et avoir une compréhension commune de l’incident. Cela reste un incident qui ne doit pas être banalisé et utilisé à outrance. Sinon, il y a un problème autre qui ne sera pas débattu
dans cet article.
Cette logique de fonctionnement doit être débattu en amont et planifiée. Chacun des acteurs connaît sa
fonction et reconnaît la fonction de l’autre. Des outils de communication du type « message express » peuvent accompagner le jeune quand il se présente en salle d’étude pour se
reprendre et avoir un lieu d’accueil, d’apaisement, de clarification des situations.
Oui, tout n’est pas si simple et les éducateurs, qu’ils soient professeur, surveillant, CPE, AVS, EVS,
devront innover, chercher… ENSEMBLE !
J’entends déjà les réfractaires au changement se plaindre que cela prend du temps, qu’il faut les tenir, augmenter le niveau des punitions, mais cela n’a pas
d’effet sur le long terme, que cela développe l’agressivité des élèves, la logique du « pas vu pas pris », évoquer la nostalgie du bon vieux temps, la faute des parents, de la société,
des instituteurs qui n’ont pas fait leur boulot etc… N’oublions pas le temps perdu, l’énergie déployée pour tenter de les contenir par la peur, la menace, la soumission et l’obéissance aveugle.
Si cela fonctionnait, ça se saurait !
Les risques à vouloir, oser fonctionner différemment sont mineurs. Nous voyons bien que la situation initiale
ne fonctionne pas ou mal. Ce sont toujours les mêmes élèves qui sont renvoyés. Si cela marchait, il y aurait des effets dans le temps. Or, il n’y en a pas. Les récidivistes sont légions. Il n’y a
donc pas ou très peu d’impact positifs sur le changement d’attitudes des élèves. Le scénario est bien huilé. L’élève provoque une réaction chez le professeur qui exclut l’élève qui se retrouve en
études sous la responsabilité du surveillant.
Misons une nouvelle fois sur l’intelligence collective. Osons chercher ensemble d’autres voies, d’autres pratiques qui permettront au jeune de s’apaiser, de se
sentir entendu et compris, au professeur de se sentir mieux respecté et ainsi meilleur professeur, à l’éducateur en fonction de surveillance d’avoir un rôle majeur et indispensable dans
l’accompagnement du jeune et plus ce ressenti « d’étude poubelle », de bouche trou du collège.
En fin de séance de formation de seulement deux fois 3 heures, le groupe des éducateurs a souhaité faire remonter les propositions suivantes :
- Une réunion par mois des éducateurs de l’établissement ensemble afin de partager, comprendre, élaborer.
- 1 ou 2 demi-journées de formation par an, voire plus si possible.
- Elaborer une fiche relais entre la classe et l’étude
- Préciser le règlement intérieur sur de nombreux points de détail. Chacun a sa propre analyse et pose ses propres règles.
- Mettre en place des outils de communication sur les temps péri éducatifs.
- Repenser l’appellation de la fonction de surveillant pour éducateur, assistant d’éducation, accompagnant…
- repenser le lieu études et l’appeler autrement pour une plus grande considération.
- Une rencontre avec les professeurs de collège pour expliquer ce qu’on fait : les attentes des uns et des autres… une formation, une activité avec un
tiers : temps relais, temps de renvoi, règlement intérieur sur les temps péri éducatifs…
Merci au groupe des éducateurs du collège avec qui je viens de travailler deux fois trois heures et qui a alimenté ma réflexion sur ce sujet par leurs
compétences, expériences, ouverture…
Jean-François LAURENT