Le précoce trop sage !
Pierre est parfait en classe. Il répond aux questions quand il est autorisé. Ses réponses sont toujours exactes et précises. Ses cahiers sont parfaits, ses devoirs toujours réalisés. Il s’avance, apprend ses leçons jusqu’à les maîtriser au mot près. Si Pierre s’est trompé d’une virgule, il recommence et recommence. Il y a une rature sur son cahier de brouillon, il déchire la page et recommence. Ses parents, son enseignant ont beau lui expliquer que cela n’a pas d’importance, il ne l’accepte pas…. Il est toujours premier de classe, sauf au deuxième trimestre où il a terminé deuxième. Le monde s’est écroulé autour de lui. Il a beaucoup pleuré.
Olivia est une bonne copine, une très bonne. Elle accepte tout, devine tout, devance les demandes de ses camarades. Elle est serviable en classe, a toujours le sourire aux lèvres. A la maison, elle rend service à sa maman, ne conteste jamais une consigne, obéit à la moindre remarque ou demande. Sa chambre est tirée au cordeau. Ses livres sont alignés sur ses étagères, son lit fait. Elle s’habille comme sa maman le demande. Si tout le monde autour d’elle est triste, elle l’est également. Tout va toujours apparemment bien. Elle montre des signes comme quoi la vie est belle et qu’elle est heureuse…
Je rencontre régulièrement ce type de profil d’enfants précoces qui nous interrogent par leur manière de faire, aussi bien garçons que filles. Des enfants qui ne se donnent pas le droit à l’erreur, leur monde doit être parfait. Des enfants étonnants qui ne transgressent jamais une règle, s’excusent mille fois si jamais ils ont commis une maladresse, peuvent rester des heures sur une chaise pendant un repas avec le sourire aux lèvres. Ils doivent et veulent être parfaits dans tous les domaines : scolaire, social, familial, associatif, relationnel, émotionnel, kinesthésique, artistique…
Tout est maîtrisé, calculé, y compris l’expression de leurs émotions calculée en fonction de l’attente présumée de la personne en interaction avec eux. Ils pensent qu’il faut rire, ils le font, qu’il faut baisser les yeux ou sourire, ils le font. Ces enfants précoces sont dans un tel désir de maîtrise que l’ordre doit régner en maître absolu. Ils veulent même maîtriser les émotions, les réactions des personnes en interaction avec eux, l’univers qu’ils côtoient.
Un seul domaine leur échappe, leur domaine intérieur.
Que signifient ces « trop » ? Trop d’ordre, trop de bien faire, trop rangé, trop propre, trop sage, trop gentil, trop parfait ? »
Ils signifient certainement un déficit très important d’image de soi, de confiance en soi. L’enfant n’existe qu’à travers les yeux des gens qui gravitent autour de lui. Il se doit de répondre aux attentes supposées de l’autre afin d’être aimé. Sinon, il risque le rejet, le désamour, la blessure qu’il n’arrivera pas ou mal à gérer. Certains choisissent la rébellion, l’opposition, la scarification ou l’eczéma… Eux sont pris dans le mythe de l’enfant parfait qui, seulement s’il est parfait trouvera grâce auprès de ses parents, de ses amis, de ses enseignants. Trop sensible ou ne sachant pas maîtriser l’amplitude de ses émotions, il sera dans une quête éternelle de la « perfectude », ne pouvant supporter le moindre accroc au tableau qu’il s’est imaginé. Il a trop peur de perdre l’amour de ses parents, la considération de ses professeurs qui alimenteront une nouvelle fois l’amour de ses parents. N’y a-t-il derrière tout cela un déficit d’image de soi doublé d’une problématique d’abandon ? « Si je ne suis pas ce que mes parents attendent de moi, ils ne m’aimeront plus et m’abandonneront… »
La question fondamentale est de savoir comment sortir de ce schéma de l’enfant parfait. Un premier point est de tout faire pour donner ou redonner confiance en ces jeunes.
- Leur envoyer de nombreux signes de reconnaissance positifs, une meilleure connaissance d’eux-mêmes sur leurs qualités, les points à améliorer.
- Leur parler vrai et leur nommer votre inquiétude sur le fonctionnement du mythe de l’enfant parfait et ce qui se joue.
- Travailler d’un point de vue cognitif sur la différenciation entre être et faire.
- Utiliser l’humour et relever de manière légère les défauts ou manies du jeune qui veut être parfait. Relever le plus souvent possible dès que vous voyez poindre un symptôme de l’enfant parfait et vous le proposez à l’enfant en le faisant réfléchir en intériorisation sur ses véritables besoins.
- Consulter un thérapeute afin de mieux se connaître et réaliser cet indispensable voyage intérieur pour un APIE qui veut être heureux.
- Proposer des activités type théâtre, sophrologie, art thérapie…
Nous voyons là deux champs différents d’actions : un davantage tourné sur les signes de surface, le comportement. Mais il ne sert à rien de modifier le comportement sans modifier l’essence même du sujet. La personne risque de trouver, d’utiliser d’autres symptômes d’expression de sa souffrance intérieure. Le problème sera juste déplacé, mais toujours présent.
L’autre champ d’action sera tourné vers les profondeurs de la personne, la confiance qu’elle se donne, la valeur qu’elle s’octroie.
Tout ceci ne se fera pas en peu de temps. Les enseignants, parents, éducateurs, doivent le plus rapidement possible repérer ces signes de mal être de l’enfant parfait. Celui-ci ne va pas bien, lui nommer votre inquiétude et lui donner les moyens de sortir de cette « fausse identité ». Il ne s’en sortira pas tout seul ou alors au prix de sacrifices très importants et préjudiciables à son équilibre, à son bonheur. Il a besoin d’aide, aidons-les !
Jean-François Laurent